Amélie, c'est ce goût délicieux sur les choses les plus simples, toutes ces petites joies minuscules qui nous réchauffent le coeur quand on les accomplit et qu'on profite de la douceur qu'elles nous procurent. La Première Gorgée de Bière n'est pas loin, tout comme l'un des courts de Jean-Pierre Jeunet, Foutaises, dont les premières minutes de ce Fabuleux Destin sont irriguées.


Ce sont aussi ces souvenirs couleur sépia, ces images saccadées tirées de ce qui ressemble à un film de famille où l'on se regarde faire des bêtises, manger des framboises que l'on a mises au bout de ses doigts et dont on se régale dans un éclat de rire. Et cette boîte ouverte sur l'enfance enfuie, dont les petits trésors dérisoires et précieux font pourtant remonter des sensations délicates, cette mélancolie nimbée de larmes et qui fait mesurer le chemin parcouru.


Amélie est un baume au coeur, une véritable madeleine de Proust, celle qui a bercé notre année 2001, celle où nous avions quinze ans de moins (déjà !) et où nous étions tombés sous le charme juvénile d'Audrey, de ses yeux noirs malicieux et de son pull rouge. Son charme de jeune fille introvertie et solitaire agissait immédiatement, comme celui d'une fée Clochette, quand elle réenchantait les vies incomplètes de son entourage, et la nôtre par la même occasion, d'une magie désarmante de simplicité.


Au point de s'oublier, elle et les battements de son coeur lumineux qui s'accélèrent devant lui.


La rencontre de deux grands timides qui ne rentrent dans aucunes des cases d'une normalité grise et triste qui désenchante les doux rêveurs, et leur enlève à jamais la possibilité d'avoir le dernier mot. Le monde d'Amélie ressemblait, sous la caméra de Jean-Pierre Jeunet, au dernier endroit où ils pouvaient s'exprimer. Où ils pouvaient écrire sur les murs des pensées d'un écrivain qui se considère raté, où ils pouvaient peindre tout en inventant une vie aux personnages qu'ils copiaient, où une boîte de thon au naturel pouvait cacher, à l'initiative d'un simple assistant d'un épicier grigou et condescendant, un bloc de foie gras.


Un monde sépia que les habituels pisse-vinaigre abhorraient, handicapés des sentiments qu'ils étaient, qu'ils trouvaient aseptisé, poil au nez. Les rabat-joies et autres fascisants de la bien-pensance avaient déjà débarqué pour imposer les carcans de leur petite vision étriquée de la triste réalité...


Alors que la poésie du quotidien était exaltée, comme tous ces moments passés inaperçus, tel ce vent qui passe sous une nappe pour l'animer, ou ce nain qui invite au voyage, racontée par la voix chaude d'André Dussollier.


Mais Amélie, c'est aussi et surtout ces amours timides en forme de jeux de piste, de balade muette en train fantôme, alors que la caméra caresse de son objectif la peau veloutée de son actrice. Et des messages qui passent par album interposé, par des photos mystérieuses, des costumes et des points d'interrogation dessinés.


Amélie enchante des vies incomplètes en s'oubliant elle-même, quand ses douces facéties masquent une intériorité terrorisée par ses sentiments et la perspective du rejet ou de la déception. Les stratagèmes alambiqués sont émouvants et délicats, à l'image d'un coeur amoureux qui ne sait comment le dire. Ce Fabuleux Destin, ce monde dans lequel notre Amélie évolue, est donc celui fantasmé par les doux rêveurs, ceux qui seront définitivement "à part" et pour lesquels le sentiment amoureux sera à la hauteur de leur excentricité. Le tout sur un fond de musique archi connue mais qui continue de transporter, plus de quinze ans après...


Dommage seulement que dans la réalité, les rêveurs et autres grands sensibles n'ont jamais le dernier mot, celui capable de rabattre le caquet des cyniques. Dommage que leur timidité soit un frein à leur recherche d'absolu.


Dommage que notre monde ne soit pas celui d'Amélie...


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le 24 déc. 2017

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