J'ai croisé la route du Fanfaron grâce à Patrick Brion et son cinéma de minuit, dans sa version restaurée de 2016. Que dire à part qu'embarquer dans ce road movie fût un moment de grand régal. Ce film m'est jubilatoire à plusieurs niveaux. Tout d'abord, grâce au personnage éponyme, incarné par le tonitruant Vittorio Gassman. Il joue ce protagoniste sans gène, péremptoire, dans l'emphase constante avec une faconde et un plaisir que je ne pouvais bouder. Gassman a compris son personnage, cela lui permet de le jouer tout en subtilité malgré le côté grandiloquent qu'impose le caractère de ce protagoniste. La catharsis bat son plein, notamment lorsque l'on découvre, petit à petit, que ce personnage se targuant de tout casser ne brise, finalement, rien du tout. Le fanfaron en devient alors délicieusement attendrissant.
Cette comédie, à mes yeux, est l'une des meilleures jamais écrites sur le plan thématique. C'est-à-dire qu'on prend un personnage -un fanfaron en l'occurrence- et on ne termine le film qu'à condition que l'exploitation du thème soit essoré jusqu'à la dernière goutte.
Je sens d'ailleurs nettement l'absence de construction scénaristique établie en amont, que les auteurs ont sûrement écrit sans savoir où ils allaient et c'est tant mieux. Ensemble, main dans la main avec les auteurs, on découvre la véritable personnalité qui se tapit derrière ces fanfaronnades mises en scène avec beaucoup d'entrain et de bonne humeur par Dino Risi.
Et le coup de maître, à mon humble avis, est de donner des coups du butoir sur toute cette fanfaronnade afin de percer à jour, finalement, le commun des mortels. Plus on avance dans ce film aux côtés de ce personnage, à l'image du timorée protagoniste incarné par l'impeccable Jean-Louis Trintignant -auquel nous nous identifions donc, parfait pour contrebalancer avec le jeu délicieusement outrancier de son partenaire-, plus nous nous rendons compte des failles du fanfaron. Alors que ce dernier emmène notre héro dans un périple automobile endiablé qui ne s'arrête jamais, chaque halte est une étape pour approfondir le personnage éponyme et désosser son fonctionnement. En cela, le principe même du road movie est une allégorie parfaite aux vues de ce que font les auteurs avec cette histoire. D'ailleurs, il n'y a pas de réelle intrigue en soi. Il s'agit d'une chronique, filant sur quasiment toujours la même unité de temps ; un road movie qui trace sa route, droite et à fond la caisse, avec des haltes -certes- mais qui n'emprunte jamais de chemins de traverse ou ne ronronne tranquillement sur la file de droite. Chaque coups de klaxons nous rappellent les fanfaronnades du personnage incarné par Gassman quand ses fêlures (et ses oursins dans les poches) se reflètent dans l'état de sa carrosserie.
Et j'ai particulièrement jubilé grâce à l'aspect matriciel de ce personnage, de ce type de film. Comment ne pas penser à ce que fera plus tard Gérard Lauzier avec ses personnages de cons perdant tout ce qu'ils pensaient ne pas leur être cher ou au Jean-Pierre Marielle que Joël Séria ne manquera pas de façonner dans Charlie et ses deux nénettes, Les Galettes de Pont-Aven et, en point d'orgue, dans l'inénarrable ... Comme la lune ! Le Splendid s'est souvent revendiqué de la comédie italienne, et bien quand le Fanfaron est sur le point de draguer une minette avant de se rendre compte qu'il s'agit de sa fille, qu'il n'a pas vu depuis des années, on se rappelle du personnage incarné par Ticky Holgado dans Gazon Maudit de Balasko, un exemple parmis tant d'autres... Et le tout nous fait regretter qu'Aldo Macionne n'ait jamais tourné avec un metteur en scène comme Risi ou Scola, qui auraient pu réellement transcender sa carrière avec d'aussi bons scénars que celui du Fanfaron.
En tout cas, qui dit comédie italienne dit férocité et la fin ne déroge pas à la règle. Si nous voyons le fanfaron par les yeux du personnage joué par Trintignant, nous nous rendons cependant compte du mythe qui s'effrite, ce qui n'est pas le cas du jeune Trintignant qui préfère en faire son modèle.
Cela causera sa perte, comme celle de tous ceux ayant croisé le chemin de ce fanfaron, dont l'égoïsme, la lâcheté et la médiocrité entraîne toujours la perte de son entourage. Alors qu'ils subissent ensemble un accident, le héro éponyme est éjecté et s'en sort. Ce n'est pas le cas de son ami qu'il ne connaissait que depuis une poignée d'heures seulement. Ce personnage au destin mitraillé, bon au départ, s'est usé au contact du fanfaron. Plutôt que de camper sur ses positions, preuve à l'appui de l'esbroufe que représente cet individu, il s'est laissé berner. Son aveuglement et son abrutissement le mènent à une mort violente et injuste. C'est extrême mais j'aime plus que tout quand les auteurs vont aussi loin que cela, d'autant plus que l'on sent que cette disparition - qu'il a pourtant lui-même provoqué puisqu'il était au volant- ne changera en rien ce maudit fanfaron.
Le tout se déroule dans une Italie bien particulière, celle du plein boom économique. Elle est cependant plongée dans une léthargie languissante car l'intrigue se déroule sur Rome, un quinze août. l'Italie de cette époque est plus qu'un cadre, comme souvent dans les meilleurs films du cru, il s'agit littéralement d'un personnage à part entière. Soleil de plomb baignant les personnages dans un décor splendide, incitant les fanfaronnades en tout genre, et transformera l'insouciance du tout en une inconscience fatale et funeste.
Prodigieux.