A l’ère du muet, le cinéma d’horreur n’en était encore qu’à ses premiers balbutiements, après que le Nosferatu de Murnau (1922) n’ait montré la voie. Cette version américaine du roman éponyme de Gaston Leroux venait ajouter une pierre à l’édifice d’un genre aujourd’hui bien ancré dans les mœurs. J’ai eu la chance de trouver une très bonne version du film, avec une bande son jouée par l’orchestre de Montréal en 1990, donnant énormément de puissance à ce vieux métrage, qui dispose déjà d’une belle palette d’atouts malgré son âge bien avancé.


Il paraissait quelque peu culotté de s’attaquer à l’adaptation cinématographique d’un roman d’horreur, pour l’exposer à un public déjà aguerri, mais pas toujours coutumier du genre. C’est ce que fait ici Rupert Julian, et il réussit son pari avec classe. Le Fantôme de l’Opéra est la preuve qu’un film peut être très vieux, mais avoir des caractéristiques très modernes, tout en gardant le charme des films d’époque.


Le premier point qui frappe le spectateur est son rythme. Cadencé, relativement rapide, les plans se succèdent avec rapidité, plongeant le spectateur dans l’action et retenant son attention. Les plans s’avèrent également très variés, avec de nombreuses alternances entre plans larges et gros plans, conférant au film un dynamisme assez rare pour l’époque. Le réalisateur met un point d’honneur à jouer sur les émotions et à faire de son film un véritable mélodrame semblable à un conte. Grâce à des gros plans et d’astucieux jeux de lumière et d’ombre, il donne du mouvement à ses scènes et décuple l’effet des images sur le spectateur.


Lon Chaney, « l’homme aux mille visages », livre ici l’un de ses plus grands rôles, arborant un maquillage des plus soignés pour revêtir le rôle de cet homme au visage laid et difforme. Le personnage du fantôme est exploité au maximum, dévoilant la profondeur d’un personnage acculé et torturé, doté d’émotions, mais ne pouvant agir qu’avec exagération pour faire face au mépris de la société. Reclus dans les profondeurs de l’opéra, le fantôme se terre dans sa solitude, caché de tous, jusqu’à la majestueuse scène du bal masqué (colorisée en Technicolor, donnant un effet du meilleur goût), où d’individu solitaire et caché, il devient le centre de toutes les attentions.


L’histoire d’amour impossible entre le fantôme et la ravissante Christine, et le rejet du fantôme par la société développe une thématique qui n’est pas sans rappeler les histoires de la créature de Frankenstein, ou même de M le Maudit. Dans cette histoire, il n’y a pas de gentil ou de méchant, pas de héros ni d’antagoniste. Le fantôme est un personnage ambivalent qui terrifie par son aspect repoussant et son côté imprévisible, mais qui inspire de la pitié face à la tristesse de son existence. L’ensemble s’inscrit dans une vaste tragédie dont on finit rapidement par deviner le dénouement.


Rupert Julian signe ici un film fort et complet, en avance sur son temps, tant sur sa structure, que sa thématique, et l’aspect technique. Nul doute que mon avis est biaisé par le fait que j’ai beaucoup apprécié l’accompagnement sonore de la version que j’ai trouvée, laquelle décuple la puissance du film, mais je ne bouderai pas mon expérience pour autant. Je me suis plongé dans ce film sans m’en détacher une seule seconde, à la fois intrigué et impressionné. En avance sur son temps, il a tout de même gardé tout le charme d’un film d’époque, avec les jeux d’acteurs caractéristiques de l’époque, et les vieilles images abîmées par le temps. Dans tous les cas, ce film a su me marquer et je ne manquerai sûrement pas de le voir à nouveau à l’avenir.

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le 13 juin 2018

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JKDZ29

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