Epiphanie gastronomique
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Il y a maintenant des années que j'ai découvert ce film charmant à la télé probablement et c'est avec grand plaisir que je le revoie de temps à autre en DVD.
Le film est présenté comme un conte : une belle histoire qui survient dans une petite communauté luthérienne puritaine dans une zone isolée, battue par les vents dans le Jutland au Danemark. Dont on imagine qu'elle se transmettra de génération en génération…
Une femme française, Babette, qui fuit la Commune et la guerre civile en 1871, se réfugie dans cette communauté où elle devient la servante de deux sœurs célibataires, héritières spirituelles de leur père qui était le pasteur regretté de la communauté. Quatorze ans plus tard, Babette reçoit une grosse somme d'argent de France et décide de l'offrir à la communauté à travers un festin qu'elle se propose de leur confectionner.
Spoiler : on découvre alors que Babette, dans une vie antérieure, était un chef cuisinier réputé à Paris. Dont il parait que le général Galliffet (le massacreur des Communards et donc de la famille de Babette) parlait avec des roucoulements et des regrets dans la voix.
Dans la longue et indispensable première partie du film, on voit vivre cette tranquille communauté dans la prière et l'austérité. En se focalisant sur les deux sœurs qui se sacrifièrent pour servir leur père en éconduisant leurs soupirants dont en particulier un jeune officier (promis à une belle carrière) et un chanteur lyrique français en cure de repos sur la côte du Jutland.
Gabriel Axel, qui s'inspire d'une nouvelle de Karen Blixen, superpose deux conceptions de la vie et du plaisir. Celle, très austère, tournée vers la prière et qui trouve le plaisir (intense …) dans l'abnégation et le dévouement et celle qui s'appuie sur la beauté de la nature et de l'art. Par exemple, le chanteur lyrique, qui participe aux offices de la communauté et qui tombe sous le charme de la voix d'une des sœurs, tente en vain de l'ouvrir à une autre musique et à d'autres sensations plus individuelles, plus égoïstes, bien sûr, susceptibles, peut-être, de conduire au plaisir de la chair.
Arrive le point d'orgue du film avec le festin et cette fois, c'est un autre plaisir, inconnu de la communauté qui se contente quotidiennement d'un infâme brouet marron, celui de la chère.
Spoiler : rétrospectivement, on se met à la place de Babette qui était chargée de "faire" ce brouet marron plutôt pâteux et qui devait se considérer être tombée très bas en termes de cuisine.
Et là, encore, Axel nous présente le festin comme une œuvre d'art. Et comme pour toute œuvre d'art, il y a les coulisses, il y a le travail de préparation pas forcément très goûteux.
Et j'aime beaucoup les atermoiements et frayeurs de la communauté qui voit la tortue (qui va finir en potage) ou les cailles (qui vont finir en sarcophage) comme une claire déviation à tous leurs principes et règles ; un véritable sabbat de sorcières. Dont il faudra que les langues ne se consacrent alors qu'à la prière.
Quant au festin, un plaisir des sens … Remarquablement distillé par un Axel que je soupçonne d'être, quand même, un peu fine gueule. Tout est dans la nuance mais le général invité, neveu d'une bigote et ancien soupirant d'une des sœurs, lui, sait profiter et initier la communauté ; passons sur les lichages des verres de Xeres (Amontillado) ou de Clos Vougeot 1845, retenons juste les léchages des doigts qui trempent dans la sauce au foie gras et aux truffes des cailles ou encore dans le somptueux baba au rhum entouré de tas de fruits confits. JOUISSIF et je me retiens ! Là encore, à quand le cinéma olfactif ?
Encore quelques petits verres de vieux marc fine Champagne et voilà que tous nos braves luthériens se découvrent soudain tolérants, se réconcilient et se pardonnent leurs petites mesquineries …
Pour finir cette chronique du plaisir, je ne parlerai que de Stéphane Audran qui interprète le rôle de Babette, plutôt à contre-emploi par rapport à ce qu'elle fait chez Chabrol ou ailleurs. On la voit même parler en danois ! Elle adopte la parfaite et très juste attitude. Toute en élégance et en simplicité. Admirable maîtresse de l'organisation de ce succulent "sabbat de sorcières" …
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le 1 déc. 2023
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