Le Festin de Babette est l'adaptation cinématographique de la nouvelle de Karen Blixen, autrice danoise emblématique connue aussi pour avoir écrit La ferme africaine, roman adapté également au cinéma par Sidney Pollack avec Merryl Streep et Robert Redford sous le titre Out of Africa,

La nouvelle Le dîner de Babette est extraite du recueil Anecdotes du destin publié en 1958. Karen Blixen mourra 4 ans plus tard non sans avoir auparavant réalisé son rêve : dîner avec Marylin Monroe et son époux, Arthur Miller. Le festin de Babette sort en 1987 et obtient notamment l'Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1988. Il est réalisé par le cinéaste danois Gabriel Axel. Le rôle principal est servi par l'interprétation saisissante de Stéphane Audran.


L’histoire se déroule au XIXème siècle. Deux sœurs, Martine et Filippa, sont les filles d’un pasteur luthérien tyrannique qui leur impose une vie austère. Il règne en maître sur ses deux filles et sur les habitants du village danois où elles vivent. Martine et Filippa resteront célibataires et par conséquent éconduiront leurs deux soupirants, Lorens et Achille, malgré l’amour réciproque que respectivement ces derniers leur inspirent. Elles renonceront donc toutes deux à l’amour, à leur jeunesse, et enfin à tout espoir d’une existence épanouie et autonome pour ne se consacrer qu’à leur père et à ses injonctions. Après la mort du patriarche, les deux sœurs vivent toujours ensemble et toujours seules. Un soir de tempête, Babette, presque morte de froid et de faim frappe à leur porte. Cette française qui leur demande asile et leur propose ses services de servante est recommandée par une lettre d'Achille, l’ancien soupirant déçu de Martine qui explique qu'ayant échappé à la répression de la commune de Paris, Babette a dû fuir la guerre civile et qu'elle « sait faire la cuisine ». Martine et Filippa acceptent de prendre Babette à leur service, même si elles n'ont pas les moyens de la payer, ce que Babette fera pendant quinze années, humblement, en apprenant le danois et la cuisine locale, jusqu'au jour où elle gagne à la loterie. Babette utilisera sa toute nouvelle « fortune » à la préparation d’un somptueux banquet qu’elle servira aux deux sœurs et à toute la communauté malgré les réticences suscitées par la rigueur implacable de leur éducation protestante.

Le film comme la nouvelle, à des niveaux différents mais avec le même bonheur, mettent en scène la sensualité, le plaisir de la chère, le ravissement progressif, les sourires et les rires qu'on voit renaître et se raviver peu à peu sur les corps et sur les visages des convives au fur et à mesure que sont servis les vins, les liqueurs et les plats tous plus sophistiqués et délicieux les uns que les autres, que Babette a fait venir à prix d'or par bateau de l'autre bout du monde. Le festin de Babette résonne comme un contrepoint aux interdits, aux dogmes religieux et sociétaux, à la brutalité des préjugés, à la violence de la culpabilité, à l’ascétisme obligatoire, à ce mode de vie imposé aussi par la pauvreté et la raideur d’un lieu que les deux sœurs et les quelques habitants du village ont toujours connu sans d’ailleurs avoir jamais pu découvrir quoi que ce soit d’autre.

Mais alors que Martine et Filippa (magistralement incarnées par Brigitte Federspiel et Bodil Kjer) n’ont su répondre à ce chemin semé de privation que par leurs œuvres de charité et une vie de renoncement dictée par leur père despotique, Babette, quant à elle, transforme petit à petit cette aridité en une fête des sens et une œuvre d’art.

Le menu et les plats sont décrits dans la nouvelle de Karen Blixen, mais sans en préciser les détails de préparation. Pour le tournage, l'élaboration en a été confiée à Jan Pedersen, chef de cuisine du restaurant La Cocotte, à Copenhague. Stéphane Audran est cadrée et filmée lors de la réalisation et de la cuisson des mets, aidé par un gamin du village tout fier de s'improviser marmiton. Babette semble suivre une partition musicale qui donnera en partage au spectateur les réjouissances d'une symphonie. Elle le dira elle-même aux deux sœurs avec fierté et une sorte d'arrogance salutaire : elle a été cuisinière au Café Anglais, à Paris, elle y a servi ses oppresseurs, les ennemis qui ont tué son fils et son mari, contre lesquels elle s’est battue sur les barricades, "les bras noirs de poudre", mais lorsqu’elle donnait le meilleur d’elle-même en cuisine, ces mêmes adversaires lui appartenaient, ils étaient à elle, une autre façon, en somme, en prouvant qu'elle était "une grande artiste" de "n’être jamais pauvre", de prendre une revanche, de se réapproprier le cours de sa vie, comme si elle avait donné également aux deux soeurs, ses hôtesses, ce soir-là, le temps d'un repas de fête, la permission de retrouver enfin, elles aussi, un semblant de bonheur et de liberté.


Calimero427
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le 1 sept. 2024

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