Le fil à la patte
Tiré d'une pièce de théâtre de Feydeau, "Un fil à la patte", le film de Guy Lefranc (1954) reprend la trame générale de la pièce, peut-être en aménageant certains personnages (je ne me souviens plus...
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le 2 nov. 2022
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Disons le franchement: Le Fil à la patte est un excellent film pour qui aime les comédies françaises de son époque et pour qui ne connaît pas la pièce de Feydeau.
A l'image du changement du déterminant initial de titre, il assume une totale liberté d'adaptation: le film n'est pas une transposition de l'oeuvre théâtrale en média cinématographique, c'est une adaptation du matériau théâtral en film.
Ce qui est intéressant car on ajoute des décors, comme le cabaret de Lucette , on ajoute des scènes qui pour certaines sont des pépites d'humour, comme la scène où Bois-D'Enghien joue les chef d'orchestre pour endormir la méfiance du Général Irrigua. Ce qui permet à Guy Lefranc et Noël-Noël de montrer ce qui, sur scène, est censé rester en coulisse: lorsque le film renoue avec l'ouverture de la pièce, la caméra se trouve dans la chambre dérobée au regard du public de théâtre, lorsque Bois-D'Enghien est caché dans l'armoire, on l'y voit suffoquer. Ce qui propose aussi des situations plus vraisemblables.
C'est hélas là que réside le gros problème du film.
Pour mieux vulgariser l'oeuvre déjà très abordable pour les spectateurs de l'époque et pour rendre les événements plus vraisemblables, le film rompt avec ce qui est le propre du vaudeville adapté: l'invraisemblable.
Voyez pour vous en convaincre la scène où, dans la pièce, Bois-D'Enghien cherche un prétexte pour que la Baronne Duverger ne parle pas de lui à Lucette comme étant le fiancé de sa fille. C'est son ami tenancier de cabaret - ex-mari pique-assiette de Lucette dans la pièce - qui expliquera à la Baronne que la pauvre Lucette s'évanouit en entendant le mot "fiancé", dû à un chagrin d'amour passé. C'est plus crédible de voir les ruses venir de personnages différents mais est-ce vraiment plus drôle? Pire: cette astuce amorce un effet de comique qui verra par la suite l'évanouissement de Lucette faussement associé à cet avertissement. L'évanouissement du film sera celui de la fiancée de Bois-D'Enghien, non de Lucette. L'effet de comique tombe à l'eau.
Comique qui se perd dans un humour simple parfois, méprisant les subtilités argumentatives et langagières présentes dans l'oeuvre originale.
Exit de ce fait la délicieuse argumentation pourtant naïve de Viviane, la fille de la baronne, sur le rôle du mari dans la procréation.
Exit également une majeure partie du comique de langage porté par Irrigua et Miss Betting.
Le Général espagnol, professeur de français à succès dans son pays et incapable de le parler en France, toujours ravi de pouvoir replacer le mot "bagatelle" qu'il vient d'apprendre, qui en vient à contester une règle de phonétique effectivement illogique de prime abord à Bois-D'Enghien, au nom si proche du sulfureux Général Asa, trempé dans une affaire de vente de bâteaux. Ce général, l'un des personnages les plus hilarants de la pièce, se retrouve dépourvu de certains de ses moments les plus forts et sort même de scène plus tôt que le prévoyait la pièce. Son comique langagier se perd avec lui.
La gouvernante anglaise de Viviane, Miss Betting, qui énerve la baronne, croit tout ce qu'on lui dit, parce qu'elle ne parle pas la langue, est quant à elle totalement absente. Ce qui diminue aussi le potentiel comique de la Baronne qui ne sait pas parler anglais, soupçonne la bonne de cabales mais est aussi très heureuse de faire démonstration de ses quelques saillies maladroites dans la langue de Shakespeare.
Cela sans parler Cheneviette, l'ex-mari rapia de Lucette, devenu Claude Bertrand, tenancier de cabaret et non doubleur de Roger Moore et Bud Spencer, qui se contente de jouer les Juste Leblanc, à rire pour faire rire par contagion.
Ajoutons pour parfaire ce triste tableau le personnage pourtant ô combien comique de Fontannet, le putois qui écoeure l'assemblée dans la pièce, qu'on borne à un rôle de vieux radoteur décati.
Heureusement, le jeu de certaines vedettes relève ce qui peut décevoir les connaisseurs et ajoute au plaisir des profanes.
Suzy Delair - que l'on connait plus aujourd'hui pour son rôle dans Rabbi Jacob que pour son trio avec Laurel et Hardy - incarne le rôle éponyme de Lucette Gautier, le fameux fil à la patte de Bois-D'Enghien. Si on peut regretter son jeu colérique et autoritaire, radicalement opposé à celui d'amante naïve de la pièce, on admirera à quel point elle fait mériter plus que jamais au personnage de Lucette sa périphrase métaphorique qui donne son titre à l'oeuvre.
Noël-Noël, qui est également scénariste du film et adaptateur - plus connu aujourd'hui pour son Père tranquille que pour son Adémaï - est un parfait Bois-D'Enghien, pas nécessairement comique mais touchant et crédible.
Geneviève Kervine, vedette fétiche de Jean Boyer et de Maurice Labro, joue une agréable Viviane quoique moins bien écrite que dans la pièce.
Le clou du spectacle reste le personnage de Camille Bouzin, LE personnage de la pièce, campé avec maestria par Bourvil, l'acteur le plus juste et le plus proche de l'esprit de Feydeau dans le film. Ses qualités que l'on connaît pour en avoir jugé dans d'autres films, on les retrouve ici mais au service d'une adaptation parfois trop rapide, trop brutalement coupée, qui ne laisse pas la possibilité à son personnage de s'exprimer complètement. Ravalant les autres vedettes au rang d'amateurs, il apporte quelque chose de transcendant qui permettra à qui attendait plus de cette adaptation ou à qui répugne à voir les vieux films de cette époque, de trouver néanmoins un véritable intérêt au Fil à la patte.
Disons-le franchement, ce film est à apprécier différemment selon l'attente que l'on en a.
Si l'on ne connaît pas la pièce et que l'on aime les films de cette époque, il vaut ses dix étoiles .
Si l'on connaît la pièce mais que toutefois on se passionne plus pour Bourvil, Noël-Noël ou Suzy Delair, il vaut ses sept étoiles bien pesées.
Bien qu'amateur de Bourvil et de Suzy Delair, je n'en suis pas moins amateur de l'oeuvre de Feydeau et reste sur ma faim, trop d'éléments à succès ayant été gommés au profit de superflus inutiles. D'où mon 6 et le coeur qui l'accompagne.
Mais on peut envisager ne pas être dupe du casting, ne pas aimer les films de cette époque et voir la note de ce film encore à la baisse.
Je lui trouve l'air agréable d'un 6-7.
Quoi qu'il en soit, voilà un film qui s'est libéré de la pièce qu'il avait à la patte.
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Créée
le 1 juin 2017
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