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Ce sont d’abord les bruits qui impressionnent, comme des sons remontés de l’inframonde, du dernier cercle de l’Enfer. Cris, hurlements, râles, ordres vociférés, grondements, raclements, fracas de la mort en marche, en plein travail, à plein régime. Bienvenue à Auschwitz, bienvenue dans l’abîme. Au rythme des convois qui arrivent, des vêtements qu’il faut débarrasser, des cadavres qui s’entassent, à traîner puis à transporter jusqu’aux fours, des chambres à gaz qu’il faut nettoyer, récurer, laver, des cendres à disperser un peu plus loin dans un lac à grands coups de pelle, Saul, Sonderkommando hagard, cherche un rabbin.


Au milieu d’un chaos suffocant, interminable, il cherche un rabbin pour enterrer ce petit garçon, ce fils qu’il veut inhumer selon le rituel juif (un rabbin, un kaddish, une sépulture) en le préservant des flammes et de l’oubli. Sauver un corps, sauver cet enfant, même déjà mort, et même si ce n’est pas le sien, c’est sauver un peu de ce qu’il reste d’humanité, lui redonner un sens là où elle n’est plus que logique d’extermination et pur effroi. Saul (Géza Röhrig, habité, fiévreux), silhouette d’un devenir fantôme (teint cireux, yeux vides, carcasse traînante et hantée), avance, chemine, résiste, endure, s’épuise, arpente sans cesse le camp dans son combat intime, désespéré, au péril de sa vie et de ses compagnons.


László Nemes le suit avec obstination, rivé à sa nuque, à son dos, à son visage, faisant de Saul un Virgile à travers l’infâme ("Parmi cet amas repoussant et sinistre couraient des gens nus et pleins d’épouvante") et accentuant, par la limite de son seul regard, la portée du flou, du hors-champ et de l’arrière-plan, obstrué par l’impensable, par l’infilmable. Sans jamais escamoter l’horreur autour (des gueules et des corps indistincts, gisants, comme une toile mouvante de Zoran Mušič), Nemes évite tout sensationnalisme (le film est vidé de la moindre émotion) en se concentrant avant tout sur Saul et son obsession à vouloir offrir à cet enfant, recraché du néant, une dignité posthume.


Ce fil narratif finit pourtant par se perdre dans un entrelacs historique (les photos prises à l’intérieur du camp, la révolte et l’évasion du 7 octobre 1944) venant entraver la quête symbolique de Saul qui se suffisait à elle-même, sans l’appui impératif d’événements concrets, indiscutables, comme si Nemes cherchait à justifier son contexte pour la rendre irréprochable parce que l’Holocauste semble constituer un défi à la représentation, à la fiction, qui n’appelle à aucun écart (le travelling de Kapo, la scène des douches de La liste de Schindler, la naïveté de La vie est belle…). Du cheminement physique et mental de Saul vers un semblant de lumière (d’apaisement ?), Nemes, avec une impressionnante rigueur formelle, parvient à saisir l’expérience du cauchemar, universelle, dans l’acharnement d’un seul homme.


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mymp
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le 9 nov. 2015

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