Exercice d'hostile
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Avec un Grand Prix à Cannes et une majorité de critiques positives, le premier film de László Nemes part déjà gagnant dans le débat de la représentation visuelle de la Shoah. Datant de 1961 avec l’article de Jacques Rivette « De l’abjection », quand il dénonçait un travelling sur une Emmanuelle Riva se suicidant dans un camp de la mort, la question de l’irreprésentabilité de la Shoah au cinéma pose un vrai problème. Avec Le Fils de Saul, le réalisateur argue que son film n’est pas spectaculaire ni cinématographique, tout en mettant en avant l’idée « d’immersion dans un camp de la mort ». Un paradoxe d’autant plus important qu’il tue tout ce que le film entreprend.
Narrant le récit d’un prisonnier, Saul, faisant parti d’un Sonderkommando (les prisonniers chargés de nettoyer les chambres à gaz et les charniers) et cherchant à enterrer son présumé fils, László Nemes espère insérer une part d’humanité dans un Enfer où elle n’existe plus. Un récit semblant absurde du à ce qu’il se passe autour, notamment la préparation de l’insurrection des prisonniers qui souhaitent survivre quand Saul préfère sauver un mort. Mais ce qui devrait être le cœur du récit, et justement sa dimension humaine, devient finalement ce qui lui est préjudiciable. Tout dans Le Fils de Saul est rapport au cinéma, du cadre au format 1 :1/33 (jouant sur le hors-champ) à la steadicam qui suivra constamment le héros. Autour de l’équipe technique se formera un récit mécanique, accumulation de gestes (nettoyer, entasser, brûler) qui auront ou pas une répercussion sur la suite du scénario. En somme, quand Nemes dit ne pas faire un film spectaculaire, il use du hors-champ pour cacher les différents plateaux de tournages (un vestiaire, une chambre à gaz, la morgue) et se sert de faits bien réels pour organiser une fiction et jouer sur l’affect (un convoi de futurs cadavres arrive et remet en cause les plans du héros). Outre le côté particulièrement détestable de la démarche, c’est ce qu’en dit le réalisateur qui est problématique car si son film est une « immersion » (d’ailleurs qui voudrait s’immerger là-dedans ?) il revêt nécessairement des atours cinématographiques, dans la manière de structurer l’image ou le son. Car dès l’instant où l’on décide de faire une fiction, il est difficile de se séparer de la structure purement fonctionnelle d’un scénario ; chose que le film essaie de faire mais résume tout cela à des ressorts sensoriels.
Si le film est brillant par sa photographie, son visuel irréprochable et, effectivement, sordide, Le Fils de Saul produit un rejet automatique. On dit généralement que l’image est difficile à décrypter au premier coup d’œil, qu’elle nécessite un temps de réflexion, mais ici, tout nous est servi sur un plateau. De la sorte, cette caméra/nuque qui nous barre la vue devient le steadicamer, ce qui sera d’autant plus le cas durant la scène d’évasion où tout est minuté, des explosions aux fusillés. László Nemes dit user du hors-champ pour retirer le spectaculaire, mais il semble plus avoir peur de montrer et préfère le ressenti, pensant qu’il prime sur la réflexion.
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Créée
le 5 déc. 2015
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