Karel Reisz dans un registre radicalement éloigné du mouvement cinématographique britannique lié au Free Cinema, pour lequel il s'est fait connaître dans les années 60, embrasse les années 70 américaines avec vigueur dans ce portrait d'un drogué du jeu. James Caan au faîte de sa gloire, deux ans après son interprétation de Sonny Corleone dans Le Parrain, est un professeur de littérature le jour et un passionné du risque la nuit, prisonnier des paris et des casinos. En une nuit, en introduction, il perd 44 000 dollars et le remboursement de cette somme à ses créanciers occupera l'essentiel de The Gambler — dont un remake a été réalisé 40 ans plus tard avec Mark Wahlberg dans le rôle-titre.
Reisz n'adopte pas une démarche subtile en toute situation, et on peut regretter les tunnels explicatifs lorsqu'il qu'il met en scène Caan le professeur de littérature expliquant à ses étudiants la thématique de la volonté et de son pouvoir, à travers le 2+2=5 de Dostoïevski. C'est de l'ordre du superflu total tant le tableau de l'addiction au risque dépeint jusque-là se suffisait à lui-même : ces virées du côté de la famille, du riche grand-oncle et de la mère compréhensive, ces cercles vicieux dans lesquels ils s'enfoncent avec une facilité confondante pour créer des dettes qui rembourseront des dettes qui rembourseront d'autres dettes... Tout est là, il n'y avait pas besoin de faire expliciter par son personnage des discours sur le besoin de prendre des risques en ne pariant pas nécessairement sur l'option avec la plus grande probabilité de réussite.
Mais tout cela mis de côté, la démarche suicidaire de Caan a quelque chose de fascinant au creux de ce pur film des 70s (les vêtements sont là pour en témoigner), avec en arrière-plan un joli gratin de mafieux et d'extorqueurs, avec toutes les têtes associées : Antonio Fargas en maquereau franchement flippant et Paul Sorvino en collecteur de dettes au bord de l'amitié ("The only thing that's standing between your skull and a baseball bat is my word."), notamment, charpentent très bien ce décorum. Il y a même James Woods, tout jeunot, en employé de banque malmené. Rien de vraiment neuf dans le registre de l'enfer du jeu, mais la vision de Reisz a tout de même ses particularités, sa composante masochiste, sa fuite en avant saupoudré de déchéance, et cette sorte de recherche étrange du châtiment au-delà de la drogue du jeu. Une trajectoire autodestructrice qui se terminera par un coup de couteau après avoir entraîné dans son sillon un innocent pour se sauver, et sans doute recommencer.
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