Il y a quelque chose d'enfoui et de plus écorché dans Beverly Hills cop que la comédie policière produite par la Paramount en cette année 1984. Le flic de Beverly Hills obéit à toutes les strates de la production à succès: véhicule de star pour Eddie Murphy, tonalité d'apparence légère, punchlines et soubresauts hardboiled. L'épaisse couche de sucre mainstream maintient le divertissement à la surface avec l'assurance que le public en garde un agréable souvenir. Objectif atteint pour un succès stratosphérique. Cette réalité existe parce qu'Eddie - Axel Foley - Murphy tord la justesse du propos et l'amène à se fondre dans un bloc humoristique à l'intérieur du genre policier. Le propos, d'ailleurs, quel est-il alors que le récit léger nous tiens à distance de la gravité sociale et que les plans des ghettos de la ville de Détroit et la bourgeoisie blanche de Beverly Hills hurlent l'énormité du décalage des classes.
Placardé de la sorte, le scénario de Daniel Petrie jr enfonce des portes ouvertes mais le rapprochement marxiste en plein mandat reaganien balance un pavé (un rocher ?) dans la mare politique US. Ce soudain retour au conservatisme ainsi que la réussite économiques de ces années, le film de Martin Brest n'en oublie pas pour autant de souligner la fosse abyssale existante entre les quartiers des minorités et des privilégiés. Il existe pourtant un trait d'union, un nouveau captain America pour raccorder la misère sociale de Détroit à l'art blanchâtre et perché des galeries huppées de Beverly Hills. Axel Foley acquiert la distance morale et ironique suffisante pour contrer toutes formes de sérieux. Son arme, l'humour, bien entendu, pour désarçonner les représentants des institutions et désamorcer les conflits. Les capacités de Foley à se fondre dans divers environnements alors que "sa dégaine prolo" invite à le tutoyer atteste du pouvoir d'emprise qu'il exerce sur autrui. Reprenant la gestuelle maniérée d'un homosexuel à qui il achète des bananes dans son hôtel, Foley reproduit "la grâce" afin d'approcher Victor Maitland mastermind et gangster déguisé en homme d'affaires. Il s'autorise ces excès parce qu'il est lui-même un représentant de sa propre communauté et que l'on peut l'imaginer sans peine tenter de s'extraire de son destin de jeune afro des quartiers. Un mimétisme également de mise lorsqu'il prend les traits et le phrasé d'un blanc cravaté inspecteur des douanes. Rien est impossible à partir du moment où l'on y met du coeur et un peu de théâtre autour. Foley incarne le quidam protéiforme prolixe sachant pertinemment que le système peut-être pris à revers.
La spécificité du policier tout-terrain d'ordinaire habitué à boucler chaque enquête avec panache trouve ici dans l'écriture une sensibilité insoupçonnée. Au milieu des métaphores sodomites à base de bananes dans le pot d'échappement du véhicule de Taggart & Rosewood - littéralement "vous l'avez dans le cul"- le Flic de Beverly Hills est un double portrait urbain et l'histoire de trois amis d'enfance séparés par la vie. Ces informations distillées au compte-gouttes redonne vie à un synopsis semi-fallacieux voyant un flic rigolard mener une enquête dans un environnement dont il n'est pas coutumier. Ici, une authentique synthèse de vidéo club par un vendeur destinée à appâter le chaland auprès d'une franchise décontractée mais certainement pas le premier segment enraciné dans l'amitié profonde et la vengeance cachée. Ainsi, il est dit sans insistance que Foley, jeune afro-américain partage sa vie (à Detroit ?) entre ses deux amis: Jenny Summers et Mickey Tandino. Le premier deviendra flic, le second truand et la dernière grimpera les échelons de la réussite professionnelle par le truchement de l'Art moderne financé en sous main.
Sur ces fondations dramatiques, Murphy se déhanche et rit de toutes ses dents blanches sur la musique synthétique de Harold Faltermayer. Le Flic de Beverly Hills, c'est aussi ça, une émancipation du réel pour livrer un show du samedi soir. Il est surtout permis de le voir de la sorte sans en oublier ses racines.