Applaudi par la critique depuis ses débuts avec la Traversée du temps et Summer Wars, le réalisateur Mamoru Hosoda ne peut plus se dissimuler derrière la confortable casquette d’outsider de l’animation japonaise. L’immense succès populaire au Japon comme à l’international de son troisième film, les Enfants loups, et la retraite du maître Miyazaki, avec qui Hosoda entretient une histoire des plus houleuses (il devait réaliser le Château ambulant avant de claquer la porte du studio Ghibli) ont propulsé le cinéaste de 48 ans en nouvelle tête de proue de la japanimation. Un changement de statut qui se traduit, en terme commercial, par le passage d’une distribution internationale indépendante (Eurozoom) à une major (Gaumont). Un mois après sa sortie japonaise, son nouveau long métrage, le Garçon et la Bête, dépassait les 3,44 millions d’entrées des Enfants loups dans l’archipel.
Hosoda s’intéresse ici au destin de Ren, un enfant de 9 ans qui prend la tangente en apprenant la mort de sa mère, fuyant ainsi une famille éloignée qui comptait pallier l’absence de son père. Ren promène sa colère dans les rues bondées de Shibuya, quartier festif et commerçant de Tokyo, où les jeunes adultes se livrent à des virées nocturnes entre amis. Caché entre deux parkings à vélos de ce Time Square japonais, Ren est abordé par une gigantesque silhouette cachée sous une cape qui le provoque avant de lui proposer de l’emmener avec lui. Ren le repousse, s’enfuit avant de prendre le géant en filature. Au détour d’une ruelle sombre, l’enfant pénètre sans le savoir sur un territoire nommé Jutengai, hors du monde des humains. Au milieu d’un marché traditionnel et d’étals aux couleurs pénétrantes, parmi un bestiaire fantastique où cochons, singes et sangliers ont des allures quasi humaines, le gamin retrouve celui qui l’avait abordé : un ours renfrogné de 2 mètres. Kumatetsu est un combattant et prétend au titre de meilleur guerrier du royaume. Mais pour ce faire, il doit, avant son ultime test, se plier à la tradition de choisir un disciple. Il adopte Ren, lui donne un nouveau nom (Kyuta), et se charge de lui enseigner le bushido, la voie du guerrier.
La première moitié du film se concentre sur le processus de domptage mutuel, le sauvageon Kyuta apprenant à se défendre et trouvant en ce Balou balourd une figure paternelle, tandis qu’il apprivoise et apaise à son tour Kumatetsu, dont la fureur et l’élégante désinvolture évoquent la figure géniale de Toshiro Mifune dans les Sept Samouraïs. Mamoru Hosoda suit le canevas très classique des shonen, ces mangas à destination des adolescents qui prennent la forme du récit initiatique d’un jeune garçon appelé à devenir un héros et exaltant de grandes valeurs de fraternité et de dévotion (le premier enseignement de Kumatetsu est de «tenir son sabre avec le cœur»). Cette histoire sous influences convoque tour à tour Karaté Kid, les buddy movies américains des années 80 et 90, les grands contes chinois et japonais, tout en se plaçant sous l’aile protectrice de Disney. En plus d’évoquer la Belle et la Bête dans son titre, le Garçon et la Bête se présente comme une relecture du Livre de la jungle où un petit d’homme recueilli par un ours rigolard (et ici alcoolo) découvre, dans une morale inversée, qu’il en faut peu pour être malheureux.
S’il assume complètement cet héritage (le film s’ouvre comme un livre pour enfant où deux narrateurs s’apprêtent à conter l’histoire d’un héros), au risque de voir quelque peu diluée la douce mélancolie qui caractérise son empreinte, Mamoru Hosoda court toujours après ses thèmes de prédilection : la construction d’un foyer, le moment de rupture qui mène à l’âge adulte et le besoin de trouver sa place dans une communauté. Dans les Enfants loups, une mère courage se mettait délibérément en retrait de la civilisation pour laisser à ses enfants la liberté de choisir entre leur humanité et leur bestialité. Ici, le choix revient à Kyuta/Ren, déchiré entre son besoin de rester parmi ces monstres qui l’ont accueilli quand les hommes n’ont pas su le choyer et son désir impérieux de retrouver ses semblables, et notamment ce père biologique dont l’absence le consume. Dans les deux cas, le chemin des hommes passe par le rapport aux livres ou à l’enseignement.
Eblouissant de maîtrise technique, drôle et habité d’un vrai souffle épique, le Garçon et la Bête échoue pourtant à nous chambouler de bout en bout comme a pu le faire Hosoda par le passé, le grand spectacle prenant le pas sur l’intimité de Ren et Kumatestu. L’équilibre enchanté qu’il avait trouvé avec son compositeur Takagi Masakatsu relevait de la synesthésie, instillant des sensations doubles où l’on ne savait plus ce qui, de l’image ou de la musique, provoquait ces élans de liberté. Rien de tel ici, les envolées géniales étant étouffées dans l’œuf. Reste quelques incantations visuelles qui ne semblent appartenir qu’à Hosoda. Ainsi, une fois le conte refermé, on est hanté par la silhouette d’une baleine qui ondule le long des avenues du centre-ville de Tokyo, présence fantomatique terrifiante annonciatrice d’une catastrophe imminente.
Sinon, c'était déjà ici