Avec le temps, le public s'est forgé une représentation de ce qu'est un film de Miyazaki et ce qu'il en attend. Le garçon et le héros ne peut donc surprendre et déstabiliser. Comme souvent lorsque le protagoniste principal et masculin chez Miyazaki, ce nouveau film est davantage mélancolique et introspectif, cette fois dans une histoire de deuil mêlé au fantastique. En pleine seconde guerre mondiale, Mahito doit faire face au décès violent de sa mère et à sa relocalisation chez sa tante, une nouvelle mère dans un univers peu familier et empreint de mystère. Le héron le fascine autant qu'il ne le distrait d’une réalité qu'il refuse. Plein de colère et d'orgueil, il chasse autant qu'il est attiré par cette animal comme Alice passe de l'autre côté du miroir, et se retrouve dans un univers hors du temps et des règles physiques de son monde.
Miyazaki intègre aussi bien Lewis Carroll que l'île des Morts de Böcklin dans la construction de son univers tourmenté, absurde et merveilleux, marqué par l'espoir et la désillusion. Sans révéler le film, le garçon et le héros matérialise le voyage intérieur de Mahito, il convoque une forme de violence rare dans un film de Miyazaki, aussi bien visuelle que verbales (le « je te hais » frontalement énoncé), miroir des émotions du jeune homme confrontés à l'incompréhension, au rejet et à l'injustice. Je rassure, cela reste tous publics, mais c’est tout de même significatif. Ici, le héron n'est ni un guide bienveillant ni un farceur malveillant, et représente toute la complexité et la richesse du monde, où tout est fait de nuances. Les alliés seront inattendus, les « ennemis » grotesques, et encore et toujours Miyazaki combat le manichéisme et ramène de la bienveillance et une fois en l'humanité malgré tout.
Le film reprend également les thèmes les plus significatifs de l'œuvre de Miyazaki : traumatisme de la guerre, de la cellule familiale, la perte de la figure maternelle, la fragilité du temps présent. Son monde fantastique reprend un certain nombre de codes qu'il a déjà travaillés et fait quelque part de ce film une somme mélancolique et presque funeste de ce qu'il a pu déployer. Il y a une il y a une noirceur dans le film, qu'il faut sûrement interpréter de manière autobiographique. Le sorcier se rend ainsi compte que personne ne pourra prendre sa suite et que ce qu'il a élaboré est voué à se déliter. Il y a une véritable douleur dans le film, une douleur que le réalisateur lui-même n'a pas fini de traiter et je pense que c'est aussi pour ça que son film peut avoir l'air incomplet car malgré tout quelque chose n'est pas résolu.
Malgré son caractère fascinant, le film nous laisse insatisfaits. D'abord car nous n'avons jamais pu créer de connexion émotionnelle avec son héros, dont le cœur ne s'ouvrira qu'à la toute fin. Ensuite justement car cette fin ne résout rien et ne présage pas de reconstruction sur les ruines qu'elle laisse. Là où les précédents films de mes acquis pouvaient parfois être très sombres et finir sur une catharsis violente, il restait toujours une amorce d'un lendemain, d'un espoir porté par l'humanité des protagonistes.
C’est assurément un des films les plus oniriques du réalisateur, qui refuse l'explicite et demande au spectateur de se laisser porter, rappelant qu'appréhender le monde nécessite de garder une part de mystère. Pour être honnête, c’est même déstabilisant au début, d’autant que la direction artistique est différente, les décors plus picturaux. Le titre original semble aussi bien s'adresser à Mahito qu'à nous spectateurs : « et nous, comment voulons-nous vivre ? », Comment souhaitons nous regarder le monde et les événements qui s'y produisent, et comment nous comporter ? C’est, au-delà de la beauté esthétique et musicale du film, ce qui dote ce film d’une beauté plus spirituelle, sa capacité à nous faire réfléchir. Miyazaki refuse de nous donner sa réponse, comme s'il nous disait qu'il était temps que nous nous prenions en main tout seuls, comme Mahito, sans attendre de lui une quelconque révélation.
C’est un film finalement frustrant. Beau, assurément complexe, mais quelque peu tragique et qui nous laisse comme une forme d'abandon.