C'est fébrile que j'entrais dans la salle de l'institut Lumière pour découvrir le nouveau Miyazaki. Fébrile car je tiens son maintenant avant-dernier long-métrage, Le vent se lève, non seulement pour un chef d'oeuvre mais également pour un point d'orgue et final magistral à une carrière déjà jalonnée de pierres angulaires du cinéma d'animation. Le regard dans le rétroviseur assez noir et amer que porte Miyazaki dans ce film sur sa carrière et sa fièvre créatrice me semblait l'épilogue parfaitement juste et humble pour parachever ces décennies de dévotion à son art.
J'avais donc peur du syndrome du film de trop, qui gâcherait l'ensemble harmonieux ainsi constitué.
Au sortir de ma séance, je dois l'admettre assez crûment : Je suis déçu. Mais bien humblement, il faut aussi être lucide. Le cas du garçon et du héron est plus complexe que juste un film de trop.
Développons.
Tout d'abord, louons l'évidence. Le film est un ravissement graphique de tous les instants. Entre les tableaux à la puissance picturale splendide ou les moments plus agités, fourmillants de mouvements et de couleurs variées, le film est un régal pour les yeux.
D'ailleurs que les détracteurs du Vent se Lève, déçus par l'absence de fantastique, soient rassurés. C'est le retour d'un univers d'imaginaire foisonnant, barriolé voire barré, approchant les sommets de vertige de Chihiro dans sa multiplicité de créatures et de décors.
Je note ici deux autres scènes très réussies :
La séquence d'introduction, elle ancrée dans la violente et dure réalité, est absolument saisissante. En caméra subjective, traversée de silhouettes à l'allure horrifique, le tout dans un style graphique qui fait très impressioniste, la chaleur du feu et l'intense cruauté de l'action qui se déroule sous nos yeux ont tout pour marquer le spectateur au fer rouge.
Une très belle scène vient frôler une thématique encore inédite dans l'œuvre de Miyazaki. Mahito attend son père qui est au travail. Posté en haut des marches, on voit ce qu'il voit : l'escalier et le parterre où l'on abandonne ses chaussures. Son père rentre, sa nouvelle femme l'accueille. On ne voit alors que le bas de leurs jambes. Cut sur Mahito, on entend alors le bruit d'un baiser et assiste aussitôt au regard perturbé du gamin qui s'enfuit dans sa chambre.
Cependant, au fur et à mesure du film, une évidence s'impose à moi. Je suis mis à distance. Je ne ressens pas de connexion émotionnelle envers les personnages ou leurs péripéties. Et pour cause. La scène dont je parlais juste au-dessus amorce quelque chose de très intéressant mais qui ne sera jamais exploité par la suite. C'est assez symptomatique de ce que propose le film. Mahito devrait être notre porte d'entrée sur ce monde, le vecteur émotionnel. Mais dès qu'on entre dans l'univers fantastique, on se désintéresse de lui. Il n'a pas d'évolution de personnage, très peu, voire pas de caractérisation.
De même l'univers développé dans le film n'est pas seulement foutraque. Il n'a pas de règles établies. On change constamment d'un endroit à un autre sans explication, les personnages énoncent pouvoir faire ou ne pas faire quelque chose au fil de l'eau etc... Ce qui donne au tout un fonctionnement très mécanique et donc là encore ne procure que peu d'émotions au spectateur que je suis. Et même je sors du film plutôt perdu avec le sentiment de ne pas avoir compris grand-chose...
C'est là qu'il me faut être honnête et remercier Vincent Maraval pour les quelques minutes qu'il m'a accordées après la projection pour discuter du film et me donner des pistes sur le versant très autobiographique du film
Le héron représente Toshio Suzuki, sacrifiant sa carrière d'animateur pour être producteur des studios Ghibli.
L'entrée dans la tour signifie l'entrée dans le monde de l'animation qui lui permettra de surmonter le deuil de sa mère.
Ce qui explique cet étrange sentiment de déjà-vu à outrance devant l'univers fantastique du film.
Les 13 pièces en équilibre, ses 13 films.
Même les 7 grands-mères qui officient dans le manoir sont un rappel des 7 cheffes de département d'animation du studio, garantes du savoir-faire 2D voué à se perdre.
Bref, il est légitime de penser que quasiment tous les éléments de ce film peuvent trouver un écho dans la réalité et l'histoire de Miyazaki.
Néanmoins. Aussi passionnant intellectuellement ce parallèle puisse-t-il être sur le papier, il faut un vecteur émotionnel pour que le spectateur soit pleinement investi. Un élément auquel se raccrocher pour apprécier avec Miyazaki, sa rétrospective de son travail. Ce qu'on ne nous donne jamais. Et quand en plus les règles changent constamment, il est impossible au spectateur d'être partie prenante.
Si la dynamique entre Mahito et le héron est une illustration des rapports changeants et houleux entre Miyazaki et Suzuki, il est incompréhensible, dans le cadre du déroulé du film, que le héron soit d'abord menaçant puis même agressif pour ensuite voler au secours de Mahito quelques scènes plus tard. Comme ça, sans rien qui n'ait changé leur relation.
Pourquoi l'alter ego de la mère de Mahito ne peut-elle pas utiliser ses pouvoirs dans la maison des perruches ? Pourquoi ne peut-elle pas pénétrer dans la chambre où dort Natsuko à cause de la pierre , quand cette même pierre exauce son vœu quelques secondes plus tard ?
Il y a une mise à distance qui s'opère d'elle-même car la cohérence interne n'est jamais la priorité. La logique de la symbolique et de la progression de l'histoire l'emporte toujours sur la suspension d'incrédulité du spectateur. Trop de questions sans réponse qui bloquent l'immersion dans l'introspection du maître. Lui qui a tant accompagné de gens dans leur parcours les laisse aujourd'hui sur le bord de la route.
Et conséquemment, les très nombreux renvois à son cinéma qui jalonnent cet univers-ci ne dépassent finalement jamais le stade du clin d'œil (au mieux) ou de l'auto-citation, vaine et plutôt nombriliste (au pire).
La fin rattrape quelque peu ce constat subjectivement pessimiste où Miyazaki, en démiurge vieillissant, nous délivre un bilan amer sur sa création qui cette fois fonctionne émotionnellement. Vacillant, dans l'impossibilité de se trouver un successeur, son œuvre ne sera pas perpétuée et pour lui vouée à l'oubli.
Touchant, mais même ici, difficile d'acquiescer une telle noirceur désespérée... Comment manquer à ce point là de foi dans les gens que l'on a fait rêver ? Eux qui vont faire perpétuer ces films merveilleux. Je suis dubitatif.
Il y a deux films en un dans Le garçon et le héron. Le récit d'aventures fantastique qui fait rêver, vite délaissé, manquant de soin narratif, et celui autobiographique, beaucoup plus cher à Miyazaki et stimulant sur le papier mais tellement hermétique au spectateur qu'il semble davantage destiné à un nombre réduit de proches, si ce n'est que pour lui. Un dernier tour de piste pour exorciser les angoisses. Après tout, ce sont des choses très personnelles.
M. Miyazaki, merci pour tout.