Difficile de donner une note à ce film _ encore plus que d'habitude _ il faudrait une échelle ou plutôt non,un monde, doté de paradigmes sans arithmétique.
C'est la seconde guerre mondiale au Japon, et par la fenêtre, le jeune héros du film voit l'horizon s'enflammer lors d'une attaque, où sa mère trouve la mort. Ce trauma originel, qui parcourt l'œuvre de nombreux auteurs et artistes japonais est ici expédié en quelques secondes, le temps de nous rappeler combien l'animation peut décrire le monde d'une façon à elle seule accessible, ici dans une vision subjective incroyable,, plongée au cœur du chaos. En deux minutes, le studio Ghibli et Miyazaki nous rappellent l'audace et l'originalité incroyable dont ils sont capables, mais la démonstration de force s'arrête là, ce n'est plus l'objet du maitre, ni de sa légion d'artisans aux mains d'or.
Le jeune garçon déménage ensuite à la campagne avec son père, patron d'usine fabricant des verrières de cockpit d'avions de chasse, les zéros japonais, fabriqués par Mitsubishi). Ce dernier s'est remarié avec la sœur de son épouse, et tante du garçon, qui vit dans une grande demeure, où plusieurs réfugiés fuyant les destructions sont accueillis, ainsi que le héron cendré du titre, qui va se mettre à parler.
Les films de cette nature sont rares. Akira Kurosawa, autre maître japonais du septième art, avait l'âge de Miyazaki quand il tournait des films comme Rêves, éthéré, incompréhensible et libre. Il y a de ça et à un moment du film, le héros comme les spectateurises sont avertis, non sans humour, que celui qui cherchera à tout comprendre périra. C'est probablement vrai.
Film contemplatif dont les enjeux n'apparaissent jamais directement et donc à rebours des codes narratifs (auto)routiniers, cela rend son visionnage fragile, des conditions de cinéma demeurant l'idéal pour l'apprécier.
Avant toute chose, c'est très beau. Passé la première scène virtuose, quand la nature autour de la maison révèle un étang et ses nénuphars délimitant le bois environnant, le graphisme évoque Monet, Sisley ou d'autres impressionnistes , subtilement mus par le vent. Plus tard, pour un ciel fendu, voilà les artistes de la renaissance. Ça peut avoir l'air de rien, mais ça situe le niveau.
Et sur un registre plus léger, les perruches font penser aux...shadoks..! Du moins quand elles se la pètent. Mais c'est subjectif, et je ne connais les shadoks que par Arte.
L'ennui guette, puis non. Le garçon, déjà replié sur lui-même, s'endurcit, emporté dans le monde du rêve, qui est aussi celui du deuil, et le plus intime qui soit, celui d'une mère. Sa difficulté peut sonner la fin d'une innocence, le début d'une autre vision du monde. Mais si le propos général parait sombre et son rythme peut être inadapté à certains jeunes enfants, la poésie affleure, la geste inimitable, et l'émotion gagne.
Inexplicable, et pourtant tout est clair, ce film est un dessin tracé sur le sable par un vieux maître. Vous ne le reverrez probablement jamais de la même façon, si vous le revoyez.