"Les héros d'une histoire ont toujours les yeux bandés"...
Les "Contes moraux" d'Eric Rohmer présentent six variations sur (plus ou moins) le même thème : le parcours d'un homme qui aime une femme avec laquelle il projette de se marier ("La Boulangère de Monceau", "Ma Nuit chez Maud" ou "Le Genou de Claire"), quand ce n'est pas déjà le cas ("La Collectionneuse" ou "L'Amour l'après-midi"), et qui va, l'espace d'un moment, se laisser presque dévier de son projet initial.
Sur ce canevas, Rohmer tisse des intrigues destinées à mettre à l'épreuve la capacité de résistance de ses héros, ainsi que la sincérité de leurs sentiments.
Partant, on peut dire que "Le Genou de Claire" constitue sans doute le conte le plus ambigu de la série.
En effet, le personnage intermédiaire (chargé, dans la série, de mettre "amicalement" à l'épreuve le héros) est, ici, une femme (l’écrivaine Aurora, qui plus est, amie de longue date du héros, Jérôme, avec lequel elle a entretenu des liens dont la nature exacte restera floue jusqu’au bout). Dans "La Carrière de Suzanne", dans "Ma Nuit chez Maud" et dans "La Collectionneuse", c’est un homme. Quant à "La Boulangère de Monceau" et "L'Amour l'après-midi", le héros y est peu ou prou seul face à ses propres initiatives (donc, en fin de compte, un homme aussi).
Autre fait notable : Jérôme (excellent Brialy) jongle non plus entre son "officielle" et un hypothétique objet de fantasme, mais entre plusieurs femmes "possibles" : ainsi, sous la malicieuse et perverse impulsion de Aurora, son désir vagabonde de Claire (dont le genou constitue, à l’exacte moitié du film, le pic de la tension érotique… où Rohmer ne craint pas d’aborder de front et sans fioriture la question du fétichisme, ni plus ni moins) à Aurora (dans une moindre mesure), en passant par Laura (et c’est là la surprise audacieuse du film), sœur de Claire et (surtout) jeune adolescente d’à peine 15 ans, qui joue à la femme : jeu d’autant plus dangereux que Jérôme n’est pas totalement insensible à cette fraîcheur insolente et dévergondée. D'où des scènes dignes de "Lolita", presque impensables dans le cinéma d’aujourd’hui.