Lino Ventura, c’est l’exemple parfait qui permet de comprendre pourquoi les comédiens Français sont aussi misérables depuis quelques temps, il représente tout ce que n’est pas un de ces médiocres désastreux qui pullulent sans vergognes sur les écrans de toute taille depuis des décennies de souffrances visuelles et auditives…

D’abord, Lino, il n’a jamais pris de cours de comédie, ce qui est la meilleure chose à faire pour ne pas sombrer dans le désastre habituel du théâtreux moderne. Le cinéma, une fois pour toute, ce n’est pas du théâtre, faudrait d’ailleurs interdire à ses sbires de se présenter devant une caméra tellement le métier n’a absolument rien à voir…

Etre acteur pour le cinéma, ce n’est pas affaire de tics ou de pseudo-métier, c’est affaire de présence et de justesse de ton, deux qualités oubliées depuis des lustres, enterrées sous les doubles coups de boutoir de la propagande théâtrale et du complet massacre sur le sujet apporté par la Nouvelle Vague autant dire que maintenant, c’est mort, un Lino, ça n’existera jamais plus, on a tout bien fait pour ça…

Lino, il est catcheur, le genre de catcheur avec un charisme tel que même s’il joue le méchant, toute la salle tombe sous le charme et se met à huer le gentil d’opérette d’en face… Lutteur aussi, champion d’Europe poids moyen en 1950, avant l’accident qui le fera passer de l’autre côté, en tant qu’organisateur…

Et puis, en 1953, Becker le veut face à Gabin dans Touchez pas au Grisbi, il en a tellement rien à battre qu’il demande un salaire gigantesque… qui lui sera accordé, forcément, et du coup, on ne voit que lui dans ce film, comme dans les quelques seconds rôles qui vont suivre…

Une présence pareille, forcément, à un moment, ça s’impose, c’est donc le cas en 1958, avec Le Gorille vous salue bien qui marque son arrivée à des premiers rôles qu’il ne quittera bientôt plus.

Le Gorille, c’est une création de Dominique Ponchardier, barbouze lui-même et inventeur du terme pour la postérité, un type des services spéciaux qui opère loin des sphères habituelles ou légales de la DST, il obéit, pas toujours poliment au « vieux », interprété ici par Charles Vanel et a l’air de perdre autant de temps à tromper la police et le contre-espionnage qu’à s’intéresser à la fuite de mystérieux microfilms…

Le Gorille, avant tout, c’est une énorme brute, indestructible, le genre à vous arracher des portes fermées à mains nues et à ne pas se laisser faire dans les conversations diplomatiques… Le diplomate, c’est Pierre Dux, un théâtreux justement, mais à l’ancienne, prof à la Comédie Française de la derrière génération d’acteurs supportables (Bébel, Rochefort…), il est aidé par un tout jeune Jean-Pierre Mocky plus sadique que subtil, un adepte du chalumeau, mais juste pour le plaisir…

Alors, forcé ment, avec Lino en bougon brutal, le film a un petit quelque chose de formidable, ça se suit avec gourmandise, ça se savoure comme un plaisir perdu qu’on ne retrouvera jamais plus…
Surtout que, avec cette parfaite intelligence du métier, le bougre refusera d’emblée les suites à son truculent personnage, inutile de vous dire que les prochains Gorille avec Roger Hanin ne pourront intéresser que les pervers aux goûts douteux, pour les autres, les civilisés, eux, auront largement de quoi se consoler, tout de suite après, Lino va enfiler les classiques, élargir ses rôles jusqu’aux sommets et devenir le plus grand acteur du cinéma hexagonal à coups de Témoin dans la ville, de Taxi pour Tobrouk, de Lautner, de Verneuil, de Tontons, de Melville aussi, tant qu’à faire…

Mais dès le début, Lino était merveilleux, à chaque plan, par chaque froncement de sourcil, la marque des plus grands….
Torpenn

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