Quand les citoyens se font niquer, les médias jouissent.

Nous leur devons le pire. L’information prémâchée. La transformation du contenu. L’orientation des faits. La sélection des histoires. Le massacre de l’esprit critique. La manipulation de masse. La rééducation des sociétés contemporaines. Rendez-vous sur vos chaînes de télévision. Qu’on abreuve votre esprit d’absurdités. Princes du mensonge, mendiants de l’audience. Ils seront là. Épatants et joyeux, mais copains avec les caciques de l’État. La preuve, ils n’aiment guère les idées marginales. Ils adorent prolonger la bonne parole. Dans l’envol désordonné des poncifs et des sophismes, ils sont des maîtres absolus. Nos médias.


Tout est spectacle, tout est source de profit, et tout est manipulation. Qu’un sourdaveugle vienne dire le contraire, quand nous lisons ou regardons l’information la réalité se recroqueville en boule dans un coin sombre. Elle place fermement ses mains sur ses oreilles et détourne le regard. Dominée, et totalement asservie. Billy Wilder, véritable précurseur, a su assembler le puzzle du cynisme médiatique il y a déjà 70 ans. Dans son puzzle il y a les pièces de l’instrumentalisation, de l’orientation, et de la manipulation. Mais vous n’y verrez jamais une place pour les pièces des faits neutres et non-altérés. Est-ce qu’elles existent ? Oui. Mais le journaliste Charles Tatum (incarné par Kirk Douglas) préfère enlacer amoureusement le mensonge tout en se détournant de la vérité voir même la fabriquer. Pourquoi ? Parce qu’il est déjà le symbole fort d’un métier qui a aujourd’hui oublié son objectif essentiel : informer et non faire penser.


Bien sûr, à cette époque il n’y a pas encore de grandes chaînes de télévision ni de réseaux sociaux. La consommation de l’information passe par la radio mais surtout par les journaux. Déjà pourtant, les démonstrations du déclin médiatique sont présentes. Charles Tatum est un journaliste qui cherche un grand reportage pour enfin briller dans la sphère médiatique. Pour que sa notoriété dépasse les frontières. A l’instant même où il rencontre un homme dangereusement coincé dans les galeries d’une montagne, le journaliste s’engage à la confection d’une histoire toute entière pensée pour durer.


Jacques Lacan, un psychiatre, disait : « le réel, c’est quand on se cogne ». Une phrase qui pourrait parfaitement éveiller les consommateurs malades du virus médiatique, mais qui colle aussi parfaitement au personnage de Kirk Douglas. Avant la fin, Charles Tatum en comprendra totalement le sens. En attendant, il s’attelle à démarrer la machinerie sans pitié des médias. Une machine dont les rouages de manipulation et d’instrumentalisation tournent à plein régime. Il suffit d’un premier article pour attiser la curiosité malsaine des foules. Faites d’un malheur un événement festif, et ils accourront pour acheter votre information. Pas par inquiétude, pas pour s’informer, mais pour s’amuser d’une détresse. Et il y a ici un double discours : démontrer que si le média est aussi malsain en tant qu’offre, c’est aussi parce que les consommateurs en font la demande.


L’immoralité de nos sources d’information n’est pas le seul responsable, la plèbe l’est aussi en encourageant la méthode par son intérêt plutôt que son opposition. Comme en témoigne le point dérangeant de ces scènes où une véritable ville se construit au-dessus de l’homme qui est coincé depuis maintenant plusieurs semaines. Les gens viennent en voiture, en train. Des chapiteaux sont montés. Des jeux sont installés. Et les nouveaux habitants de cette petite ville événementielle jouissent d’une joie immense de partager ce moment. Un être humain pourtant, objet de ces fêtes répugnantes, crève lentement quelques mètres en dessous d’eux. Cela ne vous rappelle rien ? C’est métaphoriquement toute l’irresponsabilité, l’hypocrisie, et la cocasserie de nos médias et de leurs consommateurs les plus écervelés. Dans cette situation, tant que le chou gras du journaliste demeure utile, le sauvetage tarde autant que le succès médiatique se pérennise. Une sorte d’hameçon. Et aussi longtemps qu’il y aura du poisson (rouge), le pêcheur ne partira pas.



Conclusion :



Le Gouffre aux chimères est une œuvre pessimiste de bout en bout, portée par un Kirk Douglas excellent dans le rôle d’une canaille de journaliste. Il nous dépeint un monde médiatique devenu la place de la corruption et de la désinformation. Mais plus encore, il applique aussi cette déchéance morale chez les consommateurs de l’information. Soit un lien malsain entre l’offre et la demande qui donne naissance à une bête chimérique monstrueuse, cupide, et hypocrite.



On est la presse, on ne paie jamais.


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le 1 oct. 2021

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