Il est difficile de parler avec originalité d'un film dont la trame est à peu près identique à celle des autres films de Yasujiro Ozu dans sa dernière période et où l'action est pour ainsi dire banie.
Au niveau formel la place de la caméra est à hauteur d'un chat curieux qui vous regarderait fixement et à une distance prudente au fond du couloir ou au bout de l'impasse. Ce regard sans indulgence porte pourtant une sensibilité aiguë aux petits drames d'une vie banale et derrière son impassibilité apparente se cache la mise en évidence des moments charnières du temps qui passe et de l'impermanence des choses. Le cadre géométrique fixe du couloir, de la rue ou du bar, animé par la vivacité et le sourire des jeunes femmes qui le traversent ou par les blagues potaches des collègues de bureau vieillissants se transformera en un cadre vide et silencieux dans un final habité par la présence pesante de la solitude suite au départ de la fille unique (Shima Iwashita), celle qui accomplissait sans broncher toutes les taches ménagères du père (Chishū Ryū), suite à un mariage arrangé avec le fils d'un collègue.
Le connaisseur de l’œuvre d'Ozu que je ne suis pas vraiment pourra s'amuser à cocher dans son tout dernier film ses thématiques essentielles. L'éclatement de la cellule familiale, le choc des traditions et de la modernité, la crise de la sensibilité propre à la nouvelle génération, la place effacée et pourtant prépondérante des femmes et le naufrage annoncé de la vieillesse.
S'y ajoute une thématique moins connue, le goût du réalisateur pour les boissons alcoolisées, pour la nourriture et les repas entre copains.
La présence de l'ancien professeur devenu alcoolo, la « gourde » humaine, apporte une touche de burlesque inattendue, mélangée à du pathétique, alors que l'image la plus remarquable du film est le costume magnifique de la mariée . Il est curieux de constater qu'Ozu ne s'est jamais marié.
Le final conclut sur une note moins triste que ce qui était attendu. La spiritualité d'Ozu et son cinéma inspirés par le zen semblent vouloir nous préparer à l'acceptation de la vieillesse et de la séparation inévitables, où le poids de la solitude du père sera allégé par son lâcher-prise rempli de sagesse.