Dans ce film des années 80, on est indéniablement en pays de connaissance.
Une famille mafieuse pied-noire et juive séfarade, arrivée en France en fin de guerre d'Algérie, partie de rien se construit sur des activités plus ou moins illégales de prostitution et de jeu. Quand le film démarre, la famille est à son apogée.
Comme "le Parrain" de Coppola, tiré du fameux roman de Mario Puzo.
Quant à l'évasion organisée d'un truand ainsi que l'apparition en dernière scène du petit fils, on pense instantanément au "clan des siciliens" de Verneuil.
Là, s'arrêtent les comparaisons que je ne considère pas comme étant du plagiat car elles sont structurellement différentes. Je parlerais plutôt de clin d'œil. Et personnellement, j'aime autant et pour des raisons différentes "le parrain" et "le grand pardon". Ce sont des films également fascinants.
Concernant "le Grand Pardon", cette fascination s'exprime de plusieurs façons.
Il y a d'abord cette cérémonie de la circoncision qui s'accompagne d'une grande fête qui est en quelque sorte le sacre, la consécration de la réussite du grand-père Bettoun, interprété par un impérial Hanin. Lui, l'ancien pauvre, il jubile, il domine son monde, il écrase de son mépris son rival Carrera (Hossein) qui pourtant semblait avoir quelques biscuits. Il ne voit plus les limites de son pouvoir. Rien ne peut plus lui arriver. Même le chef-flic, un revêche et fielleux Trintignant, n'est qu'une merde que Hanin, auréolé de son titre de père de Famille et de son fric, traite par le mépris. Il va jusqu'à sortir en bagnole pour faire trente mètres et lui cracher son dédain.
"attention, chez ces gens-là, la loi s'écrit de droite à gauche, pas comme chez nous"
L'état de sujétion de ses amis qui lui mangent dans la main. Tout se passe comme si personne ne voyait rien alors que tout le monde voit tout.
Mais de fines lézardes apparaissent même dans les apparents triomphes. C'est encore un point fascinant d'observer ces fines lézardes se transformer peu à peu à craquelures avant l'effondrement. Par exemple, le mépris à peine déguisé du rabbin face à ce ruissellement de fric. Lui aussi vient aussi d'Algérie, lui aussi a connu une vie modeste et on ne la lui fait pas.
Cette faconde méridionale ou pied-noire où tout se passe en gesticulations, en grandes déclarations creuses, en faux-semblants. De la tchatche, rien que de la tchatche pour masquer l'incurie, les faiblesses, les trahisons, les lâchetés.
Tout cela est superbement bien rendu et très convaincant.
En contrepoint, l'attitude amusée du témoin "métropolitain" de la toubib interprétée par Anny Duperey qui découvre un monde nouveau et possiblement merveilleux. Elle aussi est très crédible car ces gens – naturellement gais – sont si sympathiques et si accueillants (Benguigui qui n'en peut plus de tartufferie). Jusqu'au moment de la scène – jouissive – du bijou où le voile brusquement se déchire, dévoilant les vraies natures. J'ai dit fascinant ? Ben, je le répète encore ...
Au-delà du rôle tenu par Hanin, le casting est de grande qualité pour exprimer tout ceci.
Richard Berry, l'héritier et le cousin Darmon … Lucien Layani en éminence grise de Bettoun qu'on trouve habituellement dans la plupart des films d'Arcady. Clio Goldsmith dans un rôle ambigu, vénéneux mais tellement chaude et attirante … Jean-Pierre Bacri en petit maquereau minable, champion toutes catégories de la frime et de la tchatche …
Et puis il y a les autres, Trintignant, excellent en jouissif vainqueur mais si modeste. Bernard Giraudeau, Robert Hossein, Richard Bohringer, …
Au final, je pense que je ne peux guère cacher que j'aime bien ce film fascinant (encore une fois), moralement douteux mais si crédible…
J'avoue que je l'ai vu à de nombreuses reprises et ne m'en lasse guère ; c'est bien la preuve que c'est un bon film, non ?
Je ne vous aime pas, Bettoun. Vous sentez l'huile. Et j'ai l'odorat délicat