Frédéric Lordon, je l’ai découvert grâce à ses articles en pdf sur la finance puis grâce au Monde Diplo avant d’aller lire son blog (la pompe à phynance). L’homme a une plume particulière, il ne laisse pas indifférent. Le ton est un brin prétentieux, la langue parfois inutilement pompeuse mais la réflexion est toujours intéressante et le propos systématiquement argumenté.
L’ultra-libéralisme ? L’expansion du monde financier ? L’intérêt souverain ? Depuis plusieurs années Frédéric Lordon décortique méticuleusement ces sujets dans des ouvrages qui, malheureusement, n’ont pas le succès qu’ils méritent. Peut-être parce que le parti pris de ne pas sacrifier ses idées à la facilité d’assimilation de celles-ci va à l’encontre de la tendance profonde. Comme il l’explique dans le documentaire « Les nouveaux chiens de garde », son discours n’est pas formaté pour un talk-show de samedi soir ou une tribune d’une demi-page. Il entend bien choisir le média qui lui offrira la possibilité de dérouler son raisonnement. Pas de compromis.
En 2011, il publie : « D'un retournement l'autre — Comédie sérieuse sur la crise financière — En quatre actes, et en alexandrins », pièce de théâtre en alexandrin sur la crise financière. Lordon s’amuse et réunit ce qu’il aime : l’économie, la finance et la langue française – clin d’œil à Céline avec le titre. Grâce au succès du livre, la pièce se monte puis se retrouve adaptée fin 2012 au cinéma.
Synopsis :
On est en plein cœur de la crise, la bourse s’effondre, les banques ne comptent plus leurs pertes et coupent le crédit, l’économie se ralentit, s’enlise … et le politique est désorienté. Pour se sauver, les banquiers font appel à l’Etat jadis tellement décrié. En se dédouanant de toute responsabilité et en jouant sur leur rôle de maillon clé d’une économie financiarisée et mondialisée, ils s’emploient à tromper le politique pour nationaliser des pertes privées. Pour que le système survive, le citoyen doit mettre la main à la poche…
Critique :
Disons le tout de suite, l’adaptation de la pièce de Lordon est plutôt réussie. Le choix de la simplicité du décor (un énorme hangar en ruine et désaffecté) permet au spectateur de se concentrer sur le jeu d’acteur et le texte en alexandrins. Ce dernier réussit habilement à mélanger explications d’une gestion de crise catastrophique et situations comiques parce qu’absurdes. Le film est fluide et l’attention ne se relâche pas. Le casting permet aussi de passer en revue différents caractères. Du banquier gras et répugnant on passe au bourgeois classique puis au petit président nerveux.
La pièce s’intéresse aux discussions entre banquiers et aux interactions avec le politique, le citoyen est le grand absent des décisions. L’autisme des personnes qui ont présidé aux destins des peuples est ainsi parfaitement illustré. La cupidité et la prétention qui ont induit des décisions condamnables sont mises en lumière. Le scénario est implacable et la pièce brille par sa pédagogie (qui n’est pas forcément le fort de Lordon dans ses livres…).
Au final, on n’apprend malheureusement rien de nouveau mais on découvre un Lordon sous un autre jour. Le texte est plaisant (mélanger subprimes et alexandrins, il fallait oser !) et la représentation pertinente. Mon vrai regret reste de ne pas être allé voir la pièce quand elle était jouée.