J'ai rêvé qu'il y avait de la neige partout.
Du blanc à s'en faire péter les rétines, de la poudreuse à perte de vue, recouvrant tout ce que l'homme ou le bon Dieu a tenté de faire pousser à la surface d'un coin de Far West Américain. Maisons, forêts, montagnes, routes, tout recouvert. Un monde qui courbe l'échine sous la tempête.
J'ai rêvé que dans ce paysage immaculé, on souillait cette blancheur parfaite d'immondes taches rouges. De chevaux qui s'effondrent, d'hommes qui perdent un pouce, une main, une vie, transpercés de plomb, alourdis et contraints de s'effondrer par ces petits bouts de métal qui viennent arracher un dernier souffle à ces carcasses bientôt fumantes.
J'ai rêvé d'un bout d'Amérique blanc, comme enveloppé dans un linceul.
Un bout d'Amérique qui croulait sous les cadavres, les règlements de compte, les arrangements vicieux d'un système pourri jusqu'à l'os. Un bout d'Amérique où le deuil et la vengeance ne font qu'un, livré à lui-même, entre hors-la-loi et chasseurs de primes.
J'ai rêvé qu'au coeur de ce merdier, un type arrivait sur un cheval en abattant ses ennemis sans dire un mot. Une espèce d'ange de la mort, terriblement beau et tragique. Plus qu'un taiseux, un muet, avec un regard d'aigle qui transperce l'âme quelques secondes avant que les balles ne transpercent la peau. Brutal et magnifique, habité et charismatique.
J'ai rêvé qu'il se faisait la main vengeresse des victimes. Comme un boulot, pas comme une mission. Pas comme une espèce de sauveur ou de justicier, non, juste comme un type doué pour la mort et qui a décidé d'en faire son métier. Indifférent. Froid.
J'ai rêvé d'une passion brûlante, d'une chaleur à faire fondre toute cette poudre pour faire réapparaître les sentiers boueux. D'une femme à la peau ébène et au coeur saignant, bouillonnant d'une rage vengeresse.
J'ai rêvé d'un regard bleu acier. Un regard terrible, un regard dangereux. J'ai rêvé d'un homme abject, d'une ordure de la pire espèce qui se pavanerait sur les pentes enneigées de Snow Hill en exhibant les cadavres de ses proies. Je l'ai vu tordre la loi pour justifier ses crimes, gagner quelques dollars sur la vie de quelques victimes, braver la tempête et trimballer son regard de possédé dans les saloons en narguant ses ennemis.
J'ai rêvé, des heures durant, de son regard malade, fou, posé sur sa proie. Un regard inouï, perdu entre folie et mélancolie, un frisson habitant chaque instant jusqu'au dénouement.
J'ai rêvé d'une tempête de neige et d'une tempête humaine. J'ai rêvé de la fureur, des coups de feu, de la violence.
J'ai rêvé d'un dernier face-à-face.
J'ai rêvé d'une tache rouge sur la neige.
Puis du silence.
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