De tous les Western Spaghetti, "Le Grand Silence" est incontestablement le plus sombre et le plus nihiliste. Sergio Leone a posé les bases d'un nouveau genre, pour que deux autres Sergio (Corbucci et Sollima) s'en empare afin de réaliser pléthores de films inégaux, mais souvent bien plus proche de la Série B que des grandes fresques baroques du maitre Leone.
Sauf que le Grand Silence, est un film à part. Autant pour la carrière de Corbucci que pour le genre auquel il appartient.
Le casting est incontestablement le gros point fort du film. Jean-Louis Trintignant n'a jamais été aussi charismatique que dans "Le Grand Silence". Lui qui par le passé nous avait plutôt habitué à des rôles de jeunes premiers, timide et propre sur lui, endosse ici le rôle du justicier mutique et mal-rasé. Il est tellement classe qu'il ferait presque concurrence à Clint Eastwood, l'homme le plus classe du monde (depuis la mort de George Abitbol). Et puis il y a Klaus Kinski qui une fois de plus incarne une sorte de folie froide et inquiétante. Un chasseur de prime psychopathe qui semble plus intéressé par le meurtre en tout impunité que par la récompense. La simple vision de son visage suffit à nous faire frissonner de terreur. Toujours est-il que même doublé en italien, Klaus Kinski impressionne une fois de plus par sa performance.
A première vu, Le Grand Silence est un western tout à fait normal. On la fameuse opposition entre le bien (Trintignant) et le mal (Klaus Kinski), une veuve à venger, une population terrorisé à sauver, et Ennio Morricone côté musique. On imagine d'avance le fameux duel final entre le justicier qui tire plus vite que son ombre et le vilain-pas-beau qui fait rien qu'à embêter les honnêtes gens.
Sauf que cette fois-ci, les méchants sont les chasseurs de primes et les victimes des "bandits" reclus dans les montagnes et obligés de voler pour survivre. Et puis il y a les décors. Ici, on est loin des déserts arides habituels. Tout le film se passe sous une importante couche de neige. Les chevaux trébuchent, les fusils gèlent et les cow-boys se cachent derrières d'importantes couches d'écharpes et de fourrures. Mine de rien, ça en rajoute une couche dans le pessimisme ambiant qui transpire à travers le film. Tout est froid, le ciel est gris et l'horizon est bouché.
Et si le "Grand Silence" n'est pas un western comme les autres surtout à cause de sa fin.
Il y aura bien un duel final entre le bien et le mal. Mais ce dernier ne se passe pas comme prévu. Trintignant, se présente devant le saloon, sous la neige, dans le froid. Les mains sévèrement blessés par un précédente bagarre. Klaus Kinski l'attend au chaud, dans le saloon avec une vingtaine d'otage. Le héros va-t-il réussir à dégainer plus rapidement que son adversaire, malgré ses mains meurtries ? Va-t-il venger sa dulcinée et sauver les otages ?
Non.
Klaus Kinski sort, Trintignant essaye de dégainer maladroitement, et Klaus Kinski abat froidement le héros qui s'agenouille avant de s'écrouler dans la neige. Puis la veuve arrive et Klaus la bute elle aussi. Enfin il retourne dans le saloon et massacre tous les otages avant de s'en aller en enjambant les corps du héros pour partir à cheval sur la musique sublime d'Ennio Morricone.
L'issu du duel est tellement surprenante qu'on a du mal à y croire. Le générique est-il réel ? Est ce qu'il y a une scène post-générique dans laquelle on voit Trintignant se relever pour un éventuel épisode 2 ? Non. Le mal a triomphé. Sans honneur et sans gloire. C'est complètement tragique.
Cette fin, c'est une des raisons pour lesquels ce film m'a marqué. Le reste est bon aussi. Il y a ce qu'il faut de plans larges magnifiques, de gros plans sur des mines patibulaire. Quelques scènes de fusillades éclairs, ainsi qu'un scène torride et magnifique sublimée par la musique d'Ennio Morricone. Mais cette fin m'a retourné.
Les westerns spaghettis (hors Sergio Leone) ont souvent des airs de grosses farces sanglantes. Des films de pur divertissement qu'on a tendance à mélanger tant ils finissent pas se ressembler tous les uns les autres. Mais "Le Grand Silence" est unique. On est pas dans le divertissement ici. Il s'agit d'une oeuvre sombre, tragique et nihiliste. Mais c'est aussi ce qui la rend inoubliable !