Après l’excellent Aaltra, l’autistique Avida, leur Louise-Michel raté et leur Mammuth bancal, De Kervern et Delépine récidivent dans leur cinéma hors-norme, décalé mais définitivement indispensable. Quoi qu’ils fassent, ses réalisateurs apportent une bouffée d’oxygène au cinéma francophone, qu’elle soit tordante ou à côté de la plaque. Ils peuvent décevoir mais ils ont une ligne de conduite sincère qui produit toujours un effet. Je pense que je ne m’arrêterai jamais de voir leurs films, même si le précédent n’a pas fonctionné sur moi.
Leur dernier délit en date est ce Grand Soir, mené par un casting aux petits oignons. Ils offrent alors à Benoît Poelvoorde l’un de ses meilleurs rôles depuis bien longtemps, celui d’un punk à chien naviguant entre le rejet d’une société dans laquelle il ne se retrouve pas et le besoin d’être aimé, et de manger par la même occasion. Il entraînera dans son délire l’inénarrable Albert Dupontel en vendeur de matelas au bord de la crise de nerfs.
Le film démarre sur les plans séquences sans autre but que de montrer le temps qui passe. Jouant avec les cadrages, plans fixes et scènes de seconds plans, les réalisateurs balisent le terrain et construisent les fondations de leur film. Avec quasiment pour unique décors une zone commerciale d’une banlieue quelconque, le film confronte brutalement deux personnages totalement déconnectés avec une société de sur-consommation, presque robotisée. Les scènes les plus parlantes étant celles où Not, joué par Poelvoorde, vient accoster des familles remplissant leur coffre de denrées alimentaires, pour les faire réagir sur les injustices qui jalonnent la vie, et qui, au détour de la conversation, leur demande s’ils n’ont pas un petit yaourt pour lui. Ce personnage joue au yo-yo avec cette société qui avance sans lui, qu’il rejette, mais dont il a finalement besoin pour exister. Car que serait-il sans un public pour écouter ses litanies sans queue ni tête, pour acquiescer, même distraitement, face à son mal-être au quotidien ?
Derrière une comique désabusé et cynique au possible, le message est particulièrement fort et touche. Les réalisateurs offrent peut-être ici leur meilleur film car même si au premier abord cela peut paraître totalement barré et sans but, Le Grand Soir n’est pas qu’une succession de sketches à destination des fans de Groland et à l’humour venu de Belgique, c’est un film qui cache une vraie sensibilité qui s’adresse à tout spectateur. Il est au fond assez triste, témoignage brut de l’indifférence quotidienne et du manque de communication entre les êtres.