La fin d’un monde
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Ce film pourrait rebuter à la base. Une page de l’histoire de l’Italie, avant le drapeau vert, blanc, rouge, et alors ? Ça intéresse qui à part les italiens ? Visconti étant un artiste, un créateur, on lui sait gré de ne pas nous assommer avec sa leçon d’histoire bien lourde. On est tout d’abord éblouit par la beauté du pelage soyeux du guépard, animal hautain et habile à se dissimuler derrière ses taches. On est saisi par la fresque, dont chaque plan ressemble, et est composé comme un tableau. La facture est classique, mais le propos est moderne. Comment réussir le passage d’un monde à un autre ? Il suffit de tout changer pour que rien ne change.
Cette phrase qui fait un peu boutade, mais qui dit exactement la vérité. Comment survivre à un changement de régime, et garder tous ses privilèges ? Il suffit de s’adapter, se camoufler, et saisir sa proie au moment opportun, sans qu’elle ne se doute de rien. A travers la chaleur qui change l’air en tapis de poussière transparent, chargé de lumière d’or, on aperçoit des héros tous avides de quelque chose. Le pouvoir pour le guépard, les privilèges pour les autres. Le bourgeois plus riche que le prince Salina, envie son statut, sa lignée, son titre. Pour le prince et sa famille, ce n’est qu’un parvenu. Comment la classe dirigeante noyaute la soi-disant révolution, et reste maître du jeu, parce que c’est comme ça. Les bourgeois et les autres fascinés, et dominés par cette classe noble, représentée par l’énorme et solide Burt Lancaster, droit comme un pic planté dans un roc. Les privilèges du sang supplante la « noblesse » d’argent. Toujours ?
Serge Reggiani, second rôle, petite tête, tout prêt à servir la cause, comme la classe laborieuse, les petites gens, car c’est la tradition. Mieux vaut l’autorité que l’anarchie. Longue vie au prince. La scène des deux hommes qui partent à la chasse, le prince et son serviteur, est assez édifiante d’ailleurs. Le prince utilise le plébéien, et ensuite le traite comme un chien. Mais comme dit un adage africain : « On préfère un vieux voleur, à un jeune voleur ». Garibaldi et ses idées de révolution, c’est le bordel, c’est rien d’autre. Les Salina, ils sont là depuis bien plus longtemps. Ils ont étés choisis par Dieu. Des décors fastueux. Beau film. La scène du bal est grandiose, et calculée au compas dans l’œil, comme tous les plans du film.
L’intérêt vient aussi de l’habilité de Visconti, à passer de la lecture socio-historique, à la romance, sans perdre le fil. Tout est toujours équilibré, pas de discours pompeux, tout dans le mouvement. Le passage de flambeau entre le prince Salina, et son neveu Tancrete/Delon, se fait tout seul à l’écran. Aussi arrogant et opportuniste que son oncle, l’honneur de la famille est sauf. La belle Claudia Cardinale, qui entre dans la famille comme on entre en religion, avec l’aval du prince, qui aurait même pût faire valoir son droit de cuissage, tellement on voit que le pouvoir et la fascination, viennent de lui, et de lui seul. Le félin, le guépard. Elle passerait directement à la casserole, Claudia, (sans grande résistance d’ailleurs), mais le prince se fait vieux, il sait que le moment est venu pour se retirer. Un peu pamphlet politique, le ton est souvent désabusé voire parfois « comique ». Des scènes de combats de rue épiques. Des costumes magnifiques comme un luxe nécessaire. A voir.
Le sérieux de pape qu’on attendrait de ce genre de film, est balancé par la romance de cette Italie aux paysages brûlés par la chaleur, aux têtes pleines de rêve et d’espoir, tout ce qui fait la comédie humaine. Une œuvre d’envergure, et toujours d’actualité. On a les deux pieds dans la terre d’Italie, et le film reste accessible malgré la longueur. Autant « Mort à Venise », ne m’avait pas du tout convaincu, autant là il arrive à un aboutissement à tous niveaux qui ne peut qu’inspirer le respect. Sans compter le plaisir. Ça se savoure comme un grand vin.
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Créée
le 26 oct. 2015
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