Le Hobbit : La Désolation de... non juste la désolation
Déjà pas folichon-folichon, le premier volet de la trilogie (oui c'est toujours difficile de s'y faire) The Hobbit laissait de gros doutes planer sur ce dont Peter Jackon allait remplir les deux épisodes suivant. Voire gaver. Parce que non, le livre d'origine n''est pas épais. Il est même possible de tout faire tenir en 3 heures bien énervé. Mais non Peter il n'est pas comme ça. Peter on lui demande de rentabiliser. Alors Peter il rentabilise sec. Il y a plusieurs solution dans une adaptation qui demande du remplissage. Faire n'importe quoi avec l'aide de substances mortelles, comme les hors-série de Naruto par exemple, tenter de rajouter des pistes narratives secondaires avec talent, ou tenter de rajouter des pistes narratives secondaires sans talent. C'est celle-ci qui a visiblement été choisie. Parfois le film réutilise des sidequest déjà périmées, comme la traque d'Azog - qui n'a de traque que le nom tant ses troupes se font ridiculiser à chaque tentative, ce qui la rend vaine - et se décide une autre fois à faire dans l'éco-responsable avec du recyclage de rush du Seigneur des Anneaux sûrement abandonnés. Mais c'est pour les fans qu'ils s'évertuent à dire, une main sur le coeur et l'autre dans le portefeuille. Dans ce cas-là il faut juste faire un clin d'oeil, comme la référence - existante - à Gimli. Pas copier-coller une scène en mettant une rousse à la place d'une brune et un nain à la place d'un hobbit. Dans Sliders, pourquoi pas, trames parallèles, multivers que sais-je. Ici ça se voit Peter. Parce qu'il faut savoir que Kili, nain badass estampillé Hugo Boss de Sous-la-Montagne développe une amourette express avec Tauriel, copine officieuse de Legolas, mais en fait non, mais peut-être, mais c'est compliqué parce que ce n'est qu'une Elfe des Bois et qu'elle ne sait pas surfer. Oui, il a recommencé. Legolas s'est sans doute enduit entièrement de beurre avant de se jeter dans l'aventure, tant il glisse tout le temps, sur n'importe quoi, sans raison. Jamais l'elfe et les Beach-Boys n'ont été si proches philosophiquement.
Machines à tuer, Arwen en rousse et l'"homme qui s'est interdit de poser le pied par terre" enchaînent les scènes de baston à la chorégraphie très maîtrisée, mais au rythme beaucoup moins. Chaque baston répond à la logique d'un manque. Qui n'existe pas. Mais peu importe, toutes les 10 minutes au moins un personnage doit se tataner. Contre qui, où, pourquoi ? Peu importe. Il faut des têtes coupées et des épées dans le bide. En sortiront d'innombrables batailles de rues qui ne font jamais avancer l'histoire, qui ne paraissent même pas avoir une existence légitime, jusqu'au duel entre Legolas et son ennemi juré, qui se termine par une scène que n'aurait pas renié n'importe quel guerrier des années 80. Syndrome du "je saigne du nez, pourtant je suis imbattable". Ce qui est quasiment le cas, car, sachez-le, quelques années plus tard, Legolas dégommera un Oliphant sans les mains. En revanche, un soldat isolé, on peut comprendre que ce soit compliqué. Des scènes d'action dont la dramaturgie se résume sans trop se masser les tempes à la résolution de n'importe quel conflit avec une flèche. Dans la tête ou dans le cou. TOUS LES COMBATS où un personnage est en danger se terminent de cette façon. TOUS. De fait, la tension du spectateur est inversement proportionnelle à celle de l'arc. Une habitude sûrement due à l'omniprésence d'elfes au casting. Les nains se contentant de fuir. La flèche ou la vie, habile métaphore "robindesboisesque" de la prise en otage du spectateur.
Gandalf se la joue lui plutôt cool, passant son temps à servir de lampe-torche d'1m80 dans des dédales avant d'assister au réveil de Sauron. Sortie de sommeil assez similaire à celle d'un être humain lambda, grognon et visiblement pas très assuré. En témoigne lors de son apparition un effet très étrange et pas très esthétique qui donne la légère impression d'être face à une des bizarreries animées qui tournent en fond de Windows Media. A signaler tout de même la belle prestation de Smaug qui des fois, ok, il peut sentir Bilbo qui est invisible, et qui à d'autres moments ne peut pas distinguer une troupe de nains qui cavale sur un pont gigantesque à 3 mètres de lui. Cruel rhume saisonnier. Une scène qui en revanche donne la possibilité à Peter de créer de beaux enchaînements de plans, des passages inventifs siglés King-Kong dans un espace un peu moins confiné. Parce que bon, si le cahier des charges devait stipuler qu'il fait sombre pendant 2h30 de film (ouuuh c'est dark, ça devient sérieux) l’exiguïté des endroits traversés amène de réels problèmes de lisibilité et de respiration dans la mise en scène. Le remplissage est jusqu'au bout la thématique globale de La Désolation de Smaug, qui s'étale sans cesse jusqu'à tomber dans la répétition, le bégaiement, le radotage. Sans s'amuser au grand jeu de la comparaison livre/film, car l'adaptation est aussi une vision d'auteur, en théorie, jamais le bouquin Bilbo le Hobbit n'est pénible. A la différence du Seigneur des Anneaux il est efficace, rythmé, dramatique et humain, quasi roman d'apprentissage, bourré de jolis moments et avec juste ce qu'il faut de batailles épiques. En choisissant de combler les trous, Warner/NewLine/Peter peu importe le coupable, insère de l'air dans le mélange et provoque des ballonnements.
Le film n'est pas raté, mais il est triste. Tout le monde semble crevé. Bilbo, les nains, les elfes, tous ont envie de rentrer se mettre les pieds au coin du feu et s'y remettre après le week-end. Smaug/Sherlock relance la machine, littéralement, mais la nonchalance est là et elle ne s'en ira jamais. Alors oui, la DA est une petite merveille de vision du monde de Tolkien - même si le tournage en studio est beaucoup trop visible - pas mal de bonnes idées de mise en scène surnagent, et la plupart des acteurs y croient, mais l'intérêt vient de plus profond. Des mines de la Moria de sa connaissance de l'oeuvre originale. Si l'on aime Tolkien, si l'on a vécu Bilbo le Hobbit au fond de son lit avec la lumière allumée toute la nuit pour savoir si le petit hobbit allait trouver l'arkenstone, si l'on se fond dans les contes depuis des années, oui, la culture parle, l'imaginaire opacifie les défauts et il est facile de se laisser porter. Mais c'est un peu dommage de compter là-dessus. Ce qui va être encore plus vrai sur le troisième film, composé dans la logique en grande partie de batailles. Elles sont écrites, elles sont épiques, elles sont là. Mais elles n'occuperont pas 3 heures. Bouts du Silmarillon ? Romance entre Smaug et Barde ? Gollum qui tire une flèche dans la nuque de Thorin, rien n'est impossible dans la machine à rallonger les scripts de Peter.
Et 6 parce qu'il y a une rousse.