Regain de Giono : le seul bouquin qui aide à comprendre la vie avec l'histoire d'un champ.
C'est un vieux bouquin un peu corné avec des pages jaunies et cette odeur de grenier humide. Une protection en plastique, une petite aquarelle comme illustration, pas de quatrième de couv, c'est sobre et c'est mystérieux. Il est passé dans pas mal de mains, il a encore des notes pour Havas Voyage et des tâches de café/thé/autres choses inavouables. Mais les traces qu'ils laissent dans son épopée de bouquinistes sont une poussière légère qui rentre profondément dans la peau en suivant lentement ce chemin pas bien long jusqu'au cerveau. Un ultime trajet qui ancre pourtant la base de ces interactions, la notion de vie. Giono est un voyageur assis. Un homme tellement attaché à sa terre qu'en perdre ne serait-ce que l'odeur n'est pas envisageable. Dans cet immobilisme spatial, il a réussi à transiter entre les hommes et à s'imprégner de leur suc, d'une force vitale qui éclate dans Regain.
L'histoire de Panturle, un homme solide qui survit dans un village mourant. Le forgeron a laissé ses braises s'éteindre, les maisons s'écroulent, les bêtes alentour commencent à ne plus discerner les limites de la civilisation. Mais la vie ne reprend pas ses droits, elle les cède à une stérilisation par le chaos. Rien n'est animé dans ces terres, les vieilles personnes ne voient plus au-delà de leurs murs et sont déjà des fossiles enfermés dans leur coque de pierres. Le sol est dur, rien n'y pousse, la vie passe par le sang et le drame, les rares preuves d'un flot de vitalité qui est immédiatement recraché par la Terre ; cette Terre qui est à la fois le cadre, le personnage principal et le double de Panturle. Laissé dans une liberté appelant presque la folie, il renaît grâce à une femme, simple et d'une beauté brute. "Ramassée" par son ancien compagnon, elle est cueillie par Panturle, qui trouve en elle un cap. Pas une raison de vivre, mais l'inverse de ce qu'il a toujours connu, un concentré de tranquillité qui avance, qui a conscience d'un avenir et qui l'incarne. C'est avec elle qu'il se développe, qu'il voit l'opportunité de modifier son monde qu'il détestait sans le voir. Il ne change pas, mais étend ce qu'il est dans des lieux où il n'avait jamais pensé pouvoir se rendre. Un regain presque universel à l'échelle d'un homme, ce qu'affectionne particulièrement Giono, qui lance des instants dionysiaques de tous les côtés.
Puissant, Regain est une fable grecque où la chair est ouverte, éclatante, émouvante et angoissante. De multiples paysages humains qui se posent sur les panoramas en friches du Sud. Des terres qui se nourrissent des émotions et enseignent aux tréfonds sauvages de l'homme le rythme à adopter. Celui d'une résistance à l'envahissement, à la mise en jachère de ce qu'il est. Revenir à la vie c'est accepter de voir plus loin qu'un état établi, c'est réveiller toutes ces graines qui ne demandent qu'à remplacer les herbes sans nom. Regain est une démonstration de la Volonté qui passe par l'importance de l'amour/femme en tant que révélateur et miroir intime déformant, par sa vision de soi, et par l'accès à la vérité de la/sa nature. Et Giono s'y intègre avec un style virtuose et viscéral, dans la lignée de Colline écrit un an auparavant, très différent des pages mélancoliques d'un Roi Sans Divertissement. C'est un bouquin qui résonne dans le ventre bien plus que dans l'esprit. Il y a de l'amour. Et les traces du passé gravées sur ses pages de bourlingueur des bacs d'occasion sont presque les restes logiques de ses nombreux retours à la terre.
"C'est une terre de beaucoup de bonne volonté. Il en tâte, entre ses doigts, toute la bonne volonté. Alors, tout d'un coup, là, debout, il a appris la grande victoire [...] Il a connu d'un coup, cette lande terrible qu'il était, lui, ouvert au grand vent enragé, à toutes ces choses qu'on ne peut pas combattre sans l'aide de la vie."
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