Non, Peter Jackson n'est pas George Lucas.
Ah, Tolkien, l’univers du Seigneur des Anneaux... Lorsque la trilogie de Jackson fit son apparition sur grand-écran, ce fut un sacré choc. Il y avait une sensation de jamais vu au sein du cinéma dit « fantastique », et ce malgré les nombreux essais (et réussites) que furent Conan, Legend... Le cinéma « moderne » avait enfin sa grande saga (car oui, je ne considère pas la prélogie de Star Wars comme la grande saga du cinéma moderne...). C’était il y a maintenant 10 ans. Depuis, on attend le retour de la franchise sous l’égide de Bilbo, le livre fondateur de l’univers de Tokien. Autant dire que Jackson est attendu au tournant avec une nouvelle saga dans laquelle il a voulu rajouter beaucoup de nouveaux éléments, qui d’ailleurs divisent d’ores et déjà pas mal. Mais qu’en est-il ?
Personnellement, je trouve que Jackson tape fort. Mais très fort. Et ce, à plusieurs niveaux. Avant tout, prenons le film, prenons l’œuvre de Tolkien. Compte tenu de la situation cinématographique actuelle, de l’influence de la franchise Seigneur des Anneaux... Il est évident que Jackson aurait pu livrer une nouvelle trilogie bâclée qui aurait cartonnée, se contentant platement de faire un « Seigneur des Anneaux bis » en délayant la même mise en scène et la même écriture sur Bilbo. Ça n’aurait probablement pas été si mauvais, les fans auraient retrouvé leurs univers inchangé mais... l’intérêt d’avoir un bis aurait été faiblard. Jackson change donc énormément de choses dans The Hobbit.
Nouveau livre, nouveau film. Bilbo n’est pas Le Seigneur des Anneaux. Bilbo est différent. Mais Bilbo n’est pas inférieur, non, c’est un univers riche qu’il convient d’exploiter à fond, et intelligemment. Et cela, Jackson l’a bel et bien compris. Je lis un peu partout que Bilbo est enfantin, voire puéril... Eh bien, pas tant que cela. The Hobbit adopte une forme beaucoup plus « conte » que Le Seigneur des Anneaux, ce dernier se rapprochant davantage de la fresque épique, si j’ose dire. Mais les outils du conte doivent aussi se manier prudemment, pour ne pas tomber dans le mièvre, le kitch, le chiant, etc... Un conte doit avoir des enjeux et une profondeur, et Bilbo (tant le bouquin que le film) en dispose. L’introduction est longue, mais ne tombe pas dans l’excès de laborieux, et nous rappelle via quelques « flashbacks » l’essence de la Terre du Milieu, une essence d’ailleurs inédite cinématographiquement parlant sous certains aspects puisque rien ne fait redite par rapport au Seigneur des Anneaux. Un bon moyen qui permet aux fans de découvrir de nouvelles choses et aux néophytes d’avoir une plongée efficace et intense dans un univers décliné sur trois films. A nouveau, je serais tenté de dire « c’est un brin long », mais le tout s’accordant sur une trilogie... Avec le recul, je trouve que ce début a une juste place, et arrive d’ailleurs a installer de beaux moments de pauses poétiques avant qu’un rythme effréné se mette en place.
Une des inquiétudes que nous pouvons avoir, c’est de passer d’un livre somme toute assez court à une trilogie de films assez longues : le risque est d’avoir des scènes qui trainent inutilement en longueur (ou sont carrément rajoutées) pour étendre l’univers de la Terre du Milieu. Par chance, The Hobbit n’en souffre pas trop (je garde tout de même mes réserves pour les opus suivant). Jackson arrive à manier avec assez de précision le rythme de son histoire, pour que la longueur serve toujours son traitement, et non l’ennui. On peut se poser des questions quant au traitement des personnages, à priori trop nombreux (14 membres), dont la caractérisation sera probablement avancée au fur et à mesure de la trilogie. A voir. L’absence de présence de certains nains ne m’a pas dérangé outre-mesure dans cet opus, cela dit il ne faut pas que ce « défaut » soit trainé en longueur au sein de la saga, en espérant que l’ensemble soit équilibré, ce qui ne sera pas évident quand on sait qu’à la base il ne s’agissait que de deux films, et qu’en faire trois a été décidé en plein milieu de la production.
C’est aussi formellement que le travail de Jackson prend une nouvelle route. Comme je le dis plus haut : nouveau livre, nouveau film. Il n’était pas question pour Jackson de reprendre bêtement la réalisation du Seigneur des Anneaux et de l’appliquer sur The Hobbit. L’accès à de nouvelles technologies (la captation numérique, entre autre) l’a convaincu de faire évoluer sa mise en scène vers quelque chose de différent, mais quelque chose qui s’articule finalement fort bien autour des choix effectués sur l’écriture. Jackson gagne énormément en liberté, voire même en folie. On sentait dans Le Seigneur des Anneaux une envie de « jouer » avec la caméra, ce qu’il faisait d’ailleurs très bien mais en restant en adéquation avec l’approche de l’œuvre. Ici, Jackson virevolte, plane, va et vient au sein de son univers grâce à une technique qui est désormais consciente de ses possibilités. Peu de reproches au niveau de la réalisation, si ce n’est quelques plans « too much » auxquels Jackson n’a pas pu résister. Bah, face au travail impressionnant qu’il livre dans son découpage pour garantir une action épique mais toujours lisible, il y a de quoi le pardonner. A plus d’une reprise, je me suis dit que c’était très impressionnant. Et toujours cinématographique.
La bande-annonce laissait entrevoir un éventuel sur-abus d’images de synthèses, et j’ai été étonnement surpris : certes, leurs utilisation est massive mais... quel maitrise ! Grâce à l’ingéniosité de la mise en scène, de la scénographie et du découpage, l’incrustation de ces effets spéciaux se fait sans douleur, sans cette désagréable sensation de se retrouver face à du factis tout ça parce que la mise en scène en montre trop. Les petits gars de chez Jackson sont très forts. Car oui, je parle toujours de Jackson, mais jamais je ne perds de vue que c’est le travail d’une équipe entière qu’il faut saluer pour un tel résultat, et je parle du film en général. Il en va de même pour l’utilisation du son et de la musique. L’univers cinématographique de la Terre du Milieu aura beau être excessivement musical, il ne tombe presque jamais (si ce n’est jamais, en fait) dans l’exagération ou l’abus musique. Saluons au passage les compositions d’Howard Shore, qui répond bel et bien présent. La force du Seigneur des Anneaux était de pouvoir proposer un univers visuel mais aussi sonore d’une cohérence assez dingue, mais s’avérant finalement être quelque chose de nécessaire pour être une véritable invitation au voyage. The Hobbit s’inscrit donc dans cette droite lignée et propose un travail sonore d’une qualité notable. Il est tout de même plaisant, notons-le, d’avoir affaire à un blockbuster qui est puissant au niveau du son, mais n’agresse pas nos oreilles (alors que pourtant l’heure est à cette mode).
Quelques mots sur les fameux paramètres techniques qui ont suscité bien des débats ces derniers temps : le numérique, la 3D et le HFR. Le Seigneur des Anneaux était tourné en 35mm, The Hobbit est tourné en numérique. Un tel changement ne se négocie pas à la légère au sein « d’un même univers », et il est vital de comprendre que ce que recherche Jackson dans The Hobbit avec la technologie numérique, ça n’est pas « une image toute lisse et toute plate », comme on peut souvent l’entendre à propos du numérique. L’image est travaillée, tout en relief (et je ne parle pas de 3D...), voire même parfois burinée pour façonner l’image de la Terre du Milieu et de ses personnages. On peut prendre les gros plans sur Bilbo vieux ou sur Gandalf comme exemple : oui, le numérique peut avoir du relief, de la profondeur, de l’imperfection... De la vie, en somme.
L’autre question concerne le HFR, cette fameuse technologie utilisée ici pour la première fois dans le cinéma. Pour ceux qui n’ont pas suivi, le High Frame Rate consiste à filmer et diffuser un film en 48 images (ou plus, l’avenir nous le dira) par seconde, sachant que la vitesse habituelle du cinéma est 24 images par seconde. Jackson voit dans cette technologie quelque chose de révolutionnaire. Et honnêtement... Eh bien oui, malgré mes réticences, il y a bien quelque chose à exploiter dedans. Révolutionnaire, je ne sais pas encore, innovant, ça oui, à coup sûr. Le HFR demande un certain temps pour s’habituer : personnellement, il m’a fallu une trentaine de minutes. Mais en même temps... Cela fait 90 ans que nous sommes habitués à un cinéma qui tourne à 24 fps (non pas depuis le début du cinéma, mais depuis les débuts de la « motorisation » du cinéma), et il est évident qu’un tel changement a de quoi déboussoler... Et pourtant le rendu, pour la 3D bien entendu (sinon, j’en vois moins l’intérêt) est exceptionnel. Je n’avais jamais vu une telle qualité de 3D au cinéma, et le 48 fps permet de s’affranchir de bien des problèmes de lisibilité causés par la 3D (notamment le problème des panoramiques, souvent impossibles en 3D). Le HFR va faire débat, et il y a de quoi, car son utilisation est susceptible de chambarder pas mal de standards cinématographiques... Mais au sein de The Hobbit, elle y a sa place, et malgré les défauts, on ne peut que saluer le travail d’expérimentateur de Jackson. Il y a fort à parier qu’en plus de Cameron, des réalisateurs comme Fincher s’en emparent. Cela dit, tout comme la 3D... Il faut savoir maitriser cette technologie, qui peut tout aussi bien être une boite de Pandore.
Vous l’aurez compris, The Hobbit m’a plu. Jackson est un passionné, et cela se ressent au sein de son cinéma. Jamais l’idée de se moquer de son spectateur ne lui aura traversé l’esprit. Alors oui, ce premier volet de The Hobbit possède ses défauts, mais annonce une trilogie qui marquera bien des esprits, même les vieux râleurs dans mon genre qui regrettent l’ancien casting (je n’ai rien dit à ce sujet, car malgré mes réticences actuelles, je sais que quand je m’y serais habitué j’adorerais). Merci Peter Jackson, tu nous as livré une belle œuvre qui, pour ma part, était inattendue.