Le Hobbit - Un voyage inattendu par L'Ami Ricofruit
Cinéaste baroque obsédé par le gigantisme, Jackson n'a cette fois pas l'air très à l'aise avec cet univers fantasy qui conserve tout de même une partie de l'aspect enfantin du livre original, beaucoup moins sombre et grave que Le Seigneur des Anneaux. Résultat : chansons pouêt-pouêt et humour prout-prout-pipi-caca côtoient décapitations, démembrements, éviscérations et créatures hideuses recouvertes de verrues monstrueuses qui font notamment ressembler le grand gobelin à un obèse atteint d'un cancer du visage en phase terminale.
Plus grave, le film a un énorme problème de rythme, essaye d'étirer les scènes les plus marquantes du livre au-delà du supportable et comble les vides avec des éléments repris du Silmarillion ou de certains récits inachevés de Tolkien pour assurer la cohérence avec la précédente trilogie. On veut bien le reconnaître : c'était difficile de ne pas faire autrement. Malheureusement la sauce ne prend jamais vraiment : on s'ennuie ferme au début, la sensation de déjà-vu n'arrange pas les choses et on envisage avec horreur l'éventualité qu'il puisse exister une version longue pour l'édition DVD.
Du côté des bons points, Martin Freeman est un choix de casting on ne peut plus judicieux, et le dernier tiers du film se montre nettement plus convaincant : Jackson y trouve une occasion de déployer son savoir-faire dans l'hénaurmité et l'action patatouf. Quitte à en faire trop, mais c'est aussi pour ça qu'on l'aime bien.
D'un pur point de vue technique, le HFR se révèle plutôt convaincant si on oublie la patine télévisuelle assez désagréable de certains plans. L'image est par contre quelque fois franchement hideuse. Surtout au début, avec sa photo surexposée, ses blancs complètement cramés et ses lens flares dispensables. Heureusement quelques scènes parviennent à remonter le niveau, surtout lorsqu'elles assument leur nature 100% numérique : celle du Conseil Blanc à Rivendell notamment rappelle étrangement un peu l'esthétique pastelle et bichromique d'Inferno, le giallo baroque d'Argento.
Finalement plus proche du film expérimental que du blockbuster basique, Le Hobbit confirme ce que Jackson avouait à demi-mot dans les making-of et les commentaires DVD de la trilogie précédente mais que la "légende" s'évertue à contredire, sans doute pour ne pas se mettre à dos les fans : le cinéaste n'est évidemment pas le grand fan auto-proclamé de la mythologie des Terres du Milieu qu'il a surtout abordée par le biais du film de Bakshi. Ce n'est pas forcément un reproche, il n'y a rien de pire qu'un "film de fan"... Jackson semble au contraire utiliser ce matériau comme un terrain d'expérimentation : apprentissage du métier de faiseur de blockbuster pour le Seigneur des Anneaux, recherches technologiques pour Le Hobbit.
Si le système semble ici trouver ses limites c'est qu'on sent bien que Jackson a fait le tour de la question. Alors que la présence fantômatique de Del Toro se fait parfois sentir, on regrette amèrement que le réalisateur de Hellboy n'ait pas eu l'occasion de donner une seconde jeunesse au merveilleux tolkienien qui apparaît ici complètement empesé. Jackson a encore deux films à tirer avant de passer à autre chose, on a presque un peu de peine pour lui, parce qu'on a sincèrement aimé une grosse partie de sa filmographie, du gore burlesque des débuts jusqu'à Fantômes contre fantômes, charmante série B horrifico-comique. À ce jour, son vrai chef-d'œuvre à gros budget reste son remake pompier de King Kong, son blockbuster le plus réussi et sans doute le plus personnel.