Recensé en tant que premier long-métrage d'Alfred Hitchcock après les quelques bobines inachevées de Number 13 et la disparition des rares copies de The Mountain Eagle, The Pleasure Garden narre
les drames d'un triangle amoureux à quatre coins.
Dans ce film muet au rythme incertain, le cinéaste britannique ne pose pas encore les bases de son œuvre, pas plus qu'il n'explore réellement la grammaire cinématographique, se contentant là de répondre à la commande du studio qui lui offre sa chance, et pour autant, il réussit le tour de force de nous attacher à cette jeune femme un peu naïve, mais dévouée, malmenée par l'existence.
Si la mise en scène n'impressionne pas, le scénario fait l'efficacité.
Patsy, jeune danseuse de music-hall, recueille Jill, arrivée de la campagne anglaise et qui rêve de gloire. Déterminée, cette dernière ne tarde pas à voir ses désirs les plus indécents se réaliser et, quand Hugh, son fiancé quitte Londres pour une lointaine plantation dans les colonies, en profite pour se laisser courtiser par la noblesse excentrique et fortunée de passage. À ses côtés, Patsy est une fille bien sage, naïve, qui se laisse marier par Mr. Levett, un collègue de Hugh. Quand à son tour celui-ci part rejoindre son poste dans les plantations, il révèle son vrai visage de coquin sans honneur avant de tomber malade et de se laisser ronger par une folie meurtrière.
De la fièvre érotique qui ouvre le métrage sous les regards excités de gentlemen peu recommandables à la fièvre hallucinée de Levett sous les tropiques, l'intelligence du film se promène là
aux pics enfiévrés qui stimulent les cœurs, les espoirs et les actes les plus inconvenants.
C'est une fièvre mégalomane qui anime les ambitions égocentriques de Jill quand c'est une douce fièvre d'espoirs mesurés qui porte la naïveté de sa compagne Patsy. C'est une fièvre toute aussi crédule qui pousse le jeune Hugh à croire en la sincérité d'une fiancée qui se moque éperdument de ses attentes quand c'est une fièvre obsessionnelle qui avive les désirs de chair de Mr. Levett. Ainsi, sans soulever de nouveauté technique ou narrative, c'est le scénario qui échauffe un métrage où les caractères ne se heurtent jamais sans faire d'étincelles, et c'est bien là que réside l'intérêt de The Pleasure Garden malgré le classicisme formel des tableaux filmés.
Quelques plans, quelques séquences tout de même, viennent glisser la patte d'Alfred Hitchcock en élaboration, notamment cette séquence d'ouverture autour du voyeur éhonté, longue vue au premier rang pour se gaver sans vergogne des courbes des danseuses sur scène. C'est le cas aussi de quelques gros plans bien sentis pour insister sur les déceptions de l'héroïne. Mais dans l'ensemble, The Pleasure Garden garde
une forme plutôt proche des productions de l'époque,
un film muet où l'on compte plus sur l'indulgence du spectateur que sur la créativité de son auteur pour lui faire avaler les grosses ficelles du mélodrame.
Sans être une extraordinaire merveille, ce premier long-métrage d'Alfred Hitchcock vient tout de même donner quelques indications sur la carrière à venir du cinéaste : l'innocence et la naïveté bafouées, la féminité forte sous l'apparence de la fragilité, et le goût prononcé du portrait expressif. Manque encore le souci du détail et la justesse rythmique mais soyons indulgents : sous la fièvre d'excitation de l'opportunité professionnelle, le jeune Alfred Hitchcock – vingt-cinq ans à l'époque du tournage – a beau se concentrer pour faire de son mieux, il reste tributaire d'une grammaire prédéfinie qu'il n'a pas encore réinventée. Et au final, The Pleasure Garden reste un très bon mélodrame parce que s'il ne prend pas le temps de jouer des détails pour appuyer les tensions,
le cinéaste sait déjà que c'est avec de bons personnages qu'on délivre une histoire intéressante,
et ses deux antagonistes sont déjà parfaits d'égoïsme et d'autosuffisance.