Le Jeu de la Mort nous prouve une bonne fois pour toutes qu'un chef d’œuvre avorté ferait parfois mieux de le rester. Dune selon Jodorowsky ou L'Enfer de Clouzot ne seront jamais aussi bons que dans notre imaginaire collectif, et ils occupent une place importante dans notre culture par leur statut de film inachevés.
Si le film brille sur la fin grâce aux quelques scènes de combat chorégraphiées, tournées et jouées par Bruce Lee lui-même, tout le reste n'est qu'une tentative insipide de faire coller une histoire de vengeance à des scènes tirées d'un film avec lequel il ne partage aucun point commun scénaristique. Avec le montage de 1978 du Jeu de la Mort, la volonté de Bruce Lee est bafouée et sa présence, pourtant très ponctuelle, utilisée comme élément marketing. En pleine Bruceploitation, de véritables apparitions de Bruce Lee doivent faire un excellent argument pour se distinguer des autres films.
Je ne peux pas prendre en compte ces scènes de fin, magistrales, dans ma notation et dans ma critique. Le Jeu de la mort de Robert Clouse est résolument un tout autre film que celui que Bruce Lee s'imaginait.
Bien avant de pouvoir contempler ces quelques scènes de combat tant attendues, il faut quand même se taper une heure et quart d'une doublure montrée de dos ou dans le noir, lorsqu'elle n'est pas remplacée par un rush de La Fureur du Dragon ou La Fureur de Vaincre, ou par une grossière incrustation. Le manque que suscite l'absence de Bruce Lee crève d'écran, et chaque apparition maladroite ou non de sa doublure nous renvoie au drame de sa mort.
Difficile alors d'être captivé par ce scénario qui manque de toute façon d'originalité. Les personnages caricaturaux et la thématique de la vengeance sont assez typiques du cinéma de Bruce Lee ; mais inutile de préciser que sans l'acteur et ses chorégraphies bien ficelées, on est dans de la pâle imitation, parfois grotesque (qui veut voir un combat à moto dans un film de Bruce Lee ?), et franchement nanardesque.
Mais surtout, le principal problème de cette version posthume du Jeu de la Mort, c'est que non content de ne pas rendre hommage à sa vedette, ce film donne l'impression de la mépriser. En plus d'imiter grossièrement le style de l'acteur et de lui conserver seulement dix minutes (quinze en comptant les rushs éparpillés) d'apparition, Le Jeu de la Mort joue littéralement avec la mort de Bruce Lee, allant jusqu'à mettre des images d'archives des funérailles de celui-ci dans le film, ce qui est plus que discutable.
Heureusement qu'un montage existe aujourd'hui, comprenant 40 minutes de rushs issus du véritable tournage du Jeu de la Mort, permettant de se rincer l’œil et de fantasmer sur ce qu'aurait pu être le film. Le Jeu de la Mort selon Robert Clouse n'aurait pas dû exister, mais il a au moins le mérite de mettre en lumière un triste fait : Bruce Lee est bien mort, et il est inutile d'essayer de l'égaler par de piètres imitations. Une telle star en plein essor est définitivement irremplaçable. C'est comme si on sortait un Pirates des Caraïbes sans Johnny Depp ! Oh, attendez...