Les circonvolutions scénaristiques brodées par** Robert Clouse autour des quarantes minutes fulgurantes filmées en amont par Bruce Lee** conceptualisent, au premier abord, un projet autrefois destiné à mettre en évidence la suprématie asiatique dans le domaine de la lutte des corps dans un espace délimité par les murs minces d'une pagode. Lee, corps de guépard sec et effilé prend l'ascendant sur ses adversaires dont le dernier antagoniste* Hakim (Kareem Abdul-Jabar) se révèle une antithèse physique, ethnique, spirituelle mais aussi religieuse du petit Dragon. La défiance du Cinéma Chinois/Hongkongais à l'égard de toute représentation de l'Occident même lorsqu'elle en illustre les populations migrantes américaines qui en ont fait son histoire se pare d'une extrapolation corporelle souvent polarisée sur la taille et la densité musculaire des corps. La représentation massive du citoyen américain en terre asiatique (ou inversement) se cale sur l'envergure des membres comme une allégorie physique du gigantisme territorial des États. Les exemples sont nombreux et* Abdul-Jabar aura d'une certaine manière passé le témoin à **Nathan Jones dans* Le Maître d'armes* de Ronny Yu **tout comme **Mike Tyson **devenu symbole de la boxe Anglaise dans *Ip Man 3 *ou encore Scott Adkins en officier sinophobe dans la franchise du même nom. L'Oncle Sam a toujours arboré ce masque du soldat brutal (Le marin des mers de Chine) voire du capitaliste impérial en complet blanc colonialiste (La saga il était une fois en Chine) propre au dehors, sale en dedans. **Robert Clouse **s'exprimera par la bouche de L'Empire du milieu revisitant à sa manière l'anti-occidentalisme aigu par les voies (cocasses) de... l'occident. Les normes démocratiques et libérales de l'Amérique habituellement mal perçues seront ici maintenues dans une gangue purement artificielle afin d'être en phase avec la politique contradictoire de la Chine. HongKong, fief de la Golden Harvest et productrice du film ainsi que Macao, lieu en partie où se déroule l'action du film n'ont-elles pas soif d'indépendance au point d'identifier le blanc comme la représentation du salopard idéal ? Malin s'il en est, **Clouse, natif américain, oeuvre pour le marché asiatique sans peur d'écorcher les susceptibilités des spectateurs européens et outre atlantique tous séduits par l'offre sans distinction ethnique. De cette version écornée de 1972, Le Jeu de la mort 1978 prolonge le chemin de croix de Lee en imposant son mastermind en fin de course. Le raccord indélicat derrière l'escalier entre la doublure du petit Dragon et les plans originaux insérés établissent la fusion des mêmes identités. D'une part, un simulacre censé donner l'image de l'authentique Bruce Lee par l'usage grossier de sosies divers et d'autre part, l'acteur martial réel inscrit dans sa propre fiction confectionnée par ses soins puis dans une seconde fabriquée de toute pièce par les producteurs. Derrière l'entreprise de résurrection (pré-fabriquee) d'un symbole par le fondateur de la Golden Harvest, Raymond Chow et le réalisateur Robert Clouse, se détache la surexploitation de l'image du petit Dragon dans une ligne temporelle définie : En début de métrage, les rushs de la Fureur du Dragon réétablissent la légende en prenant appuie sur le duel final du Colisée. Puis la doublure de Lee prend le témoin de ce passé composé pour redéfinir le présent au coeur d'une réalité nouvelle avant de retourner dans un passé simple articulé autour du montage original. Au premier visionnage du Jeu de la mort, l'imposture de la reconstitution physique impose un regard distant sur la besogne filmique. L'écran de fumée rapidement dissipée par les cadres approximatifs et les zones d'ombres dissimulant à peine la silhouette de l'avatar du petit Dragon tord à son désavantage la réalité que l'on tente de nous imposer. Il semble quasiment impossible d'outrepasser la supercherie du jeu des masques de la production dans une optique de premier degré de lecture. Le pic étant celui d'une surimpression du visage de** Lee** plein cadre sur celui d'un figurant. Les danses successives alternant réalité mensongère et fiction réelle aboutissent aux limites de ce qu'orchestre le Septième Art en terme de suspension d'incrédulité vis à vis du public. Le subterfuge étant rendu rapidement caduque, il conviendrait de décrypter le film de** Robert Clouse** à partir d'une scène de combat opposant* Carl Miller*** (Bob Wall)** à *Lo Chen***(Sammo Hong)** également chorégraphe (troisième réalisateur ?) des scènes d'action. La dichotomie des styles martiaux de chacun des protagonistes sur le ring au même titre que le physique de chacun d'eux reflètent la greffe impossible du montage original de Lee lié à la performance de l'Art du combat apposée au classicisme illustratif urbain de** Clouse**. Imaginons le formalisme de Sergio Leone tentant de s'épanouir dans le foyer du western de série B d'un honnête artisan Hollywoodien comme R.G. Springsteen. L'écart des valeurs artistiques donnera toujours l'ascendant au baroque sur le classicisme prudent bien que noble par de nombreux aspects. Cette hétérogénéité de deux approches stylistiques aux antipodes fragmentent le projet dans sa recherche de l'authentique Bruce Lee.
Où se situe la star au sein de ce patchwork d'images issu d'un hold up artistique ? Le flou entretenu autour de l'acteur participe à la recherche de l'authentique planant au-dessus du projet. L'homme au survêtement jaune et bandes noires ne vit que par l'utilisation antérieure de son image mais jamais dans la diégèse façonnée par Robert Clouse. Le Jeu de la mort est aussi la mort du "je".