Le Jeu de le Reine est une vraie aventure cinématographique, originale, ambitieuse, et réussie pour Karim Aïnouz, ce réalisateur brésilien-algérien, déjà primé à Cannes en 2019, et dont ce film a fait partie de la sélection officielle du festival en 2023 !
Ayant lu les épreuves du roman Le jeu de la Reine d'Elizabeth Fremantle, la productrice Gabrielle Tana est allée chercher ce réalisateur pour en faire un métrage différent des films habituels d'époque anglais, souhaitant obtenir une fiction viscérale sur les relations humaines dans les années 1545, un monde anglais complexe, quasi encore moyenâgeux, et de grande méfiance vis-à-vis des croyances religieuses hérétiques; un monde qui plus est en pleine réforme catholique qui donnera lieu à l'Anglicanisme, dont l'origine vient de cette rupture d'avec le pape en 1534, plus politique que théologique, provoquée par le terrible roi Henri VIII, le deuxième de la dynastie des Tudor après Henri VII.
[A noter que Henri VII a succédé à Richard III, en 1485, dernier des Plantagenets, tué lors de la bataille de Bosworth, à la fin de la guerre civile des Deux-Roses, souverain qui a fait l'objet du très intéressant film The Lost King de Stephen Frears, en 2023].
Cette Reine, que ce long-métrage met en scène, sans en être un biopic, c'est Catherine Parr (vue une seule fois sur grand écran dans le film de 1933 La vie privée d'Henri VIII de Alexander Korda), la sixième et dernière épouse de Henri VIII, ce véritable ogre, réputé cruel, devenu alors obèse, puant et irascible, d'autant qu'il souffre horriblement d'un ulcère à la jambes. Le film nous montre la vie de cette Reine, en milieu hostile, se focalisant sur les toutes dernières années (1544-1547) de la vie du souverain.
Le suspens de cette réalisation s'appuie essentiellement sur le fait que les 5 premières épouses de Henri VIII connurent des sorts funestes, décapitées, répudiées ou morte en couche, et que les deux personnages principaux sont vraiment à l'opposé l'un de l'autre !
Catherine est jouée par l'actrice suédoise Alicia Vikander, en soi un choix original et décalé, qui interprète avec justesse, candeur et beauté un personnage intelligent, fort et mystérieux avec la cour, ne manquant pas de sensibilité et d'affection pour les 3 enfants légitimes de Henri VIII, Edward, Mary et Elizabeth, qui seront tous les trois appelés à régner jusqu'en 1603, date marquant la fin de la dynastie des Tudor.
Assurant avec panache quelques mois de régence du trône alors que Henri VIII est parti en guerre contre la France, elle prend seule quelques libertés et affiche des convictions très risquées avec son ancienne suivante Anne Skew (Erin Doherty), laquelle affiche des thèses religieuses protestantes hérétiques contraires aux pratiques officielles, et marquant ainsi le début de son jeu très dangereux.
En cela, elle va être épiée puis pourchassée sur ordre du roi, par l'évêque du régime Stephen Gardiner, interprété avec dureté et intolérance dans la peau d'un excellent Simon Russell Beale.
Les frères Edward et Thomas Seymour (Eddie Marsan et Sam Riley, portant pour l'occasion de longues barbes), beaux-frères du roi (car frères de la reine Jeanne Seymour, la seule de ses 5 épouses non répudiée ou décapitée; elle mourut hélas suite à la mise au monde du prince Edward), jouent également un rôle trouble, tour à tour aidant Catherine pour la disculper de ses liens avec Anne, puis donnant à l'évêque la pièce à conviction fatale.
Reste à évoquer bien sûr le comportement du roi Henri VIII, déjà largement cité, incarné par un Jude Law exceptionnel et méconnaissable, mais ne donnant pas dans les sentiments, c'est le moins qu'on puisse dire ! L'acteur s'est exprès "embaumé" d'odeurs épouvantables pour rendre son rôle encore plus crédible pour lui et auprès des autres acteurs qui le côtoie et en particulier bien sûr Alicia Vikander chaque fois très indisposée.
Faisant ainsi corps avec l'abominable Henri VIII, Jude Law nous fait sentir qu'il autorise Catherine à jouer son propre jeu, mais que sa cruauté peut l'emporter à chaque instant !
Au crépuscule de sa vie, et demandant à voir Catherine de manière exclusive pour tenter d'apaiser sa douleur, le dénouement est étonnant et émouvant; ambiguë vis-à-vis à la réalité historique, la fin du film est quelque peu romancée et semble à double interprétation; à chaque spectateur d'en déduire son ressenti.
La réalisation de Karim Aïnouz n'en est pas moins une très belle réussite, avec une restitution crédible de l'époque, des costumes, de son ambiance violente et cruelle; tourné intégralement dans le château de Haddon Hall, dans le Derbyshire, la fiction apporte la touche médiévale encore très appropriée à l'Angleterre des années 1545, alors que le reste de l'Europe est déjà davantage en pleine renaissance.
Une fiction à voir, que l'on soit passionné ou non par l'histoire des Tudor, avec ce souverain emblématique et sa 6ème épouse Catherine Parr, la seule qui fera Echec au Roi !