Karl Marx. Un nom que j’ai souvent lu et entendu, un visage familier, des idées connues de manière très succincte et dans les grandes lignes. Ce film ne figure pas parmi les grosses affiches de ce début d’automne, toutefois la vue de sa bande-annonce m’a tout de suite interpellé, dans l'optique de me plonger dans une petite épopée historico-philosophique rythmée et intéressante. En tout cas, c’est ainsi que s’annonçait Le Jeune Karl Marx, et c’est dans cet état d’esprit que je me suis attelé à son visionnage, non sans enthousiasme.
Alors que le XIXe siècle s’est déjà presque à moitié écoulé, au beau milieu des années 1840, la révolte menace dans les usines, et des courants de pensées anarchistes et révolutionnaires se diffusent dans les rues et dans diverses revues. Le Jeune Karl Marx prend pour point de départ le constat des effets de la révolution industrielle sur la société et le monde du travail. Karl Marx et Friedrich Engels étaient encore des anonymes à l’époque, mais leur position vis-à-vis de la condition des prolétaires, nouvelle classe sociale issue des conséquences de la révolution industrielle, va leur valoir une exposition sans cesse grandissante, et compromettante pour les autorités alors en place. L’intérêt du Jeune Karl Marx est donc, dans une première vision des choses, de montrer comment un petit nombre de personnes a pu avoir une influence considérable sur la société.
Le Jeune Karl Marx est un film qui prône la liberté, l’affranchissement de règles désuètes et la transition vers de nouveaux modèles sociaux revenant aux fondamentaux de ce que doit être la société. En effet, à cette époque, celle-ci est en crise, car elle connait une terrible lutte des classes, et la révolution industrielle, basée sur l’automatisation des processus industriels, se focalise sur la productivité à grande échelle, mettant en danger la condition des travailleurs, qui s’assimilent à des esclaves modernes. En réalité, le but du film n’est pas simplement de développer l’idéologie de deux philosophes et de prôner les lois du communisme, mais surtout de se servir de ces deux éléments pour raconter les origines de la société actuelle, à une époque qui nous semblait d’emblée plus éloignée de nous que nous ne le pensions.
La fougue des deux hommes nous transporte autant dans leur éternelle fuite face aux autorités, que lors de leurs longues discussions philosophiques qui décortiquent la pensée humaine, l’économie et la société. A l’image des deux personnages principaux, c’est toute une nouvelle idéologie qui se construit, et qui laisse apparaître un contexte sociologique et économique nouveau. Ce n’est plus d’en haut que doit parvenir la totalité des décisions, car tant que le peuple n’aura pas le droit à la parole et n’agira pas, rien ne changera. Ce n’est plus à l’échelle d’un pays qu’il faut agir, mais à l’échelle du monde. Et c’est dans cette veine que Le Jeune Karl Marx se déroule, où les classes délaissées s’expriment, et où les grands penseurs de l’Europe entière échangent, faisant fi de la barrière de la langue, préfigurant une société de plus en plus mondialisée, et le crépuscule des grandes monarchies absolues.
Le Jeune Karl Marx ne demande pas d’adhérer aux idées du penseur allemand, ni de faire un éloge éhonté du communisme. Il fait avant tout l’éloge de la force de la pensée, de sa capacité à changer notre vision du monde, voire à changer le monde. Dans ce film multilingue où allemand, anglais et français se croisent afin de souligner la puissance d’une pensée transcendant les nations et les classes, se meuvent les composantes d’un « vieux monde » qui menèrent à celui dans lequel nous vivons aujourd’hui. Sans être dans la grandiloquence ni trop dans le minimalisme, sans jamais resplendir mais ne commettant jamais de faux-pas irréparable, Le Jeune Karl Marx est un film intéressant qui offre une perspective différente de notre histoire à travers le prisme de la philosophie et de nouvelles théories sur la sociologie. Un film habilement mené qui n’hésite pas à nous faire réfléchir sur notre condition et sur la manière dont le monde a évolué (ou non) depuis plus d’un siècle et demi.