Jean Renoir arrive aux États-Unis en décembre 1940, près d'un an et demi après l'exil d'Alfred Hitchcock. Avec le réalisateur britannique, ils sont à l'époque considérés comme les deux plus grands réalisateurs européens. Mais comme Hitchcock, ils rencontreront au début les mêmes déboires. Le directeur de la Fox compte sur Renoir pour réaliser des projets français, dans des décors français, ce que le réalisateur refuse. Jean Renoir veut filmer l'endroit où il vit. Il finit, comme Hitchcock, par se débarrasser de son producteur et va voir ailleurs. Après avoir réalisé son rêve avec L'Homme du Sud en 1945, un film en décors naturels, Jean Renoir se lance sur Le Journal d'une femme de chambre.
Au départ, le sujet semble rempli de contraintes : adaptation d'un classique, tourné entièrement en studio, à l'opposé des reconstitutions qui lui étaient chères. Mais au final, Le Journal d'une femme de chambre est peut être le film sur lequel Renoir a le plus de libertés. Et ces libertés, il les doit au couple Burgess Meredith/Paulette Goddard. Le premier est un comédien respecté dans les années 1940 tandis que la seconde est l'ex-femme de Chaplin avec qui elle a tourné dans Les Temps modernes et Le Dictateur. Meredith, en plus de jouer dans le film, en a écrit le scénario et s'est occupé de trouver le financement nécessaire à sa réalisation. Le couple et Renoir s'aventurent donc dans un film au budget réduit. En plus du long roman naturaliste, Meredith travaille aussi à partir de l'une des nombreuses adaptations théâtrales qui ont popularisé l'œuvre.
Ce côté théâtral se retrouve à l'écran, Renoir déclare dans une présentation télévisée de son film « Le Journal d'une femme de chambre correspond à une de mes crises d'anti-naturalisme aiguë [...], j'avais un très grand désir de faire des scènes qui soient presque des sketches, de ne pas les développer ; de les simplifier à l'extrême, des sketches, c'est-à-dire des croquis ». Renoir met ici totalement de côté le goût du détail qui avait fait son succès en France dans les années 1930. André Bazin a déclaré dans les Cahiers du Cinéma à propos de ce film « C'est la théâtralité à l'état pur. La lumière du studio et la reconstitution n'avaient pas pour but de reproduire une petite ville française mais d'accentuer l'impression de cauchemar. Tout ici, jusqu'à l'extraordinaire vérité des détails vestimentaires, est intégré à une sorte de fantasque cruel aussi transposé qu'un monde théâtral ». Cette théâtralité deviendra la marque de l'œuvre de Jean Renoir dans les années 1950.
De l'œuvre originale, critique de l'aristocratie et des élites, Renoir ne garde que ce qu'il veut, n'hésitant pas à trahir le roman. Les personnages de Monsieur Lanlaire et du Capitaine Mauger ont ici des traits beaucoup plus caricaturaux que dans le roman de Mirbeau. Ils ne sont que des hommes que Célestine tente de s'approprier. Elle, est beaucoup plus libre, et Renoir accorde à son interprète, Paulette Goddard, toute sa confiance. Les personnages ne sont pas des individus mais des idées, chacun occupant une position sur un véritable échiquier social. André Bazin évoque le film comme une « tragédie burlesque, aux confins de l'atrocité et de la farce. Il n'y a pas dans toute l'œuvre de Renoir de film qui représente davantage la liberté d'invention et de style ».
Les fervents défenseurs de Mirbeau ne se sont pas tous retrouvés dans cette adaptation de Renoir. Luis Buñuel adaptera lui aussi le roman, sous le même titre que le film de Renoir, en 1964 avec Jeanne Moreau dans le rôle de Célestine.