Un jeune pasteur est envoyé dans l’Ouest, en raison de son caractère trop faible. Mais ce n’est pas un lieu ouvert à la foi qu’il va trouver, malgré la présence d’un groupe de chrétiens qui l’attendent, mais le chaos, la violence et la luxure : « Hell’s hinges », les gonds de l’enfer, tel est le nom donné sur cette terre brûlée par le soleil à cette ville construite sur la poussière. La première scène, admirablement cadrée, montre au centre de l’écran un règlement de compte, tandis qu’accourent de l’arrière-plan, où se trouvent les baraques rudimentaires de la ville, une foule d’hommes à pied et à cheval, alors que l’homme abattu roule encore sur le sol, faisant s’élever des nuages de poussière. D’autres tirs ont lieu alors, faisant se disperser la foule : mouvements d’avancée et de recul qui rythmeront le film, jusqu’au final apocalyptique où la ville prendra feu.
Miller, dit Silk, « à la perfidie mortelle du crotale », propriétaire du saloon, et Blaze, joué par William Hart, qui tire plus vite que son ombre, voient d’un mauvais œil l’arrivée de la foi dans cette ville de débauche. Mais lorsqu’au milieu d’une foule hostile rassemblée à l’arrivée de la diligence, Blaze s’approche, il est comme frappé par la Grâce en découvrant la douceur angélique de la sœur du pasteur (qui s’appelle Faith, la foi). Transformation certes rapide mais tellement expressive, autant que le sont les visages ahuris de trois « bad guys » sur laquelle la caméra s’arrête rapidement à plusieurs reprises, qui annoncent les visages patibulaires à venir dans le western, ceux d’un Jack Elam, d’un Lee Marvin ou encore d’un Klaus Kinski dans le western italien : regards torves, mâchoires crispées, visages hilares, torses bombés, et mains sur la ceinture ou sur le revolver.
S’ensuivra une lutte entre deux groupes, la foule endiablée qui envahira la grange tenant lieu d’église, en hurlant et en dansant, la transformant en saloon, et le petit groupe de chrétiens rassemblés autour du pasteur et de sa sœur, qui payeront cher leur résistance et devront fuir après que le pasteur, perverti par une femme envoyée par Silk, ait cédé à la tentation de l’alcool et de la chair. Ni la construction d’une église, ni les interventions de Blaze n’y changeront rien : la foi ne vaincra pas, et en l’absence de Blaze l’église sera brûlée, en une des plus belles scènes d’incendie du cinéma muet. La caméra filme de manière incroyablement vivante le mouvement des flammes attisées par le vent, et c’est toute la ville qui brûlera à la fin lorsque le « good bad man », le minéral William Hart (on pense parfois à Randolph Scott dans les films de Boetticher), viendra venger le pasteur.
Le moralisme évident mais souvent discret de William Hart trouve ici une issue spectaculaire dans la destruction de la ville par le feu, grâce à une maîtrise formelle et un sens de la composition impressionnants en 1916. Non seulement il faudra attendre les années 50 pour que le western exprime d’une telle manière toute sa puissance et sa beauté plastique, mais on peut dire que peu de westerns, dans toute l’histoire du cinéma, auront aussi bien filmé les mouvements de foule, accourant, se dispersant, occupant le centre de l’image, puis reculant vers l’arrière-plan ou en bas de l’écran, foule grouillante saisie au plus près des flammes dans les scènes finales.