Dans ma quête de Culture Totale, j'ai pu voir passer à plusieurs reprises le nom de la société de production Shaw Brothers, ici-même ou en lisant l'excellent magazine Metaluna. Avec la Shaw Brothers, c'est un pan particulier qui s'offrait à moi : le cinéma chinois d'arts martiaux des années 1960 à 1980. Que les puristes me pardonnent ma simplicité et mon titre trompeur, j'arrondis les angles.
L'occasion s'est donc présenté à moi avec ce film, sorti en 1972 et réalisé par Pao Hsueh-Li, le vénérable Chang Cheh ayant seulement servi de sécurité sur l'affiche (aussi connu chez nous sous le nom de syndrome Steven Spielberg ou Stephen King). Le film est aussi connu chez nom sous le nom de La brute, le bonze et le méchant ainsi que Le boxeur de Shantung, ce dernier étant probablement le titre le plus proche du contenu.
Ma Yung-Cheng a quitté son Shantung natal pour Shanghai, terre promise de nouvelles opportunités. Malheureusement, le travail est ingrat et les personnes qui ont un minimum de rang social ne brillent pas par leur affabilité. Notre personnage principal, trop fier pour se courber pour une pièce à terre, veut s’élever. Sa rencontre avec un des gangsters locaux va lui donner des rêves de grandeurs qu'il réalisera par la force de ses poings. Mais, comme le dit l'un des personnages, à Shanghai, il y autant de gens qui s'élèvent que de personnes qui s'effondrent.
Le Justicier de Shanghai nous propose donc de suivre l'ascension de cet homme parti de rien vers les troublantes sphères du pouvoir locales, entre respect et méfiance avec les différents chefs de clan. On arrive même à apprécier cet imposant loustic, fier jusqu'à l’écœurement, mais au cœur gros comme la main. Un pari rendu possible grâce à l'interprétation de Chen Kuan-Tai, toute en nervosité. Celle-ci transparaît certainement autant de l'écran par le fait que l'acteur ne comprenait pas le mandarin, qui est la langue du film.
C'est d'ailleurs dans les relations entre les personnages, entre cette franche camaraderie et les non-dits avec certains personnages principaux, que le film tire son épingle pendant la majorité de la pellicule. En effet, celui-ci prend son temps pour occuper les deux heures et les scènes d'action se révèlent assez timorées. La réalisation fait d'ailleurs datée, avec ses travellings avants incessants, ou ses plans cadrés aux bustes. Il n'y a d'ailleurs pas grand chose d'autre à filmer, les décors étant quelconques, la Shaw Brothers n'ayant pas non plus des moyens conséquents.
Et puis, arrive cette scène finale. Mon camarade critique d'à-côté l'a d'ailleurs remarqué, tant cette scène, longue d'une vingtaine de minutes, conclue un film un peu ronronnant sur une note éclatante. Ma Yung-Cheng s'engouffre dans une embuscade dans laquelle il sait que les dés seront tirés une bonne fois pour toutes, dans les poings et le sang. Le colosse montre ses pieds d'argile, mais en tire suffisamment d'énergie pour défaire ses adversaires dans des chorégraphies inventives et presque bestiales.
Et le générique arrive, le spectateur peut reprendre son souffle. Quant à moi, dans ma quête de la Culture Totale, j'ai le sentiment d'avoir bien avancé, et je me réserve encore la possibilité de découvrir encore d'autres fleurons de la Shaw Brothers. Pour ne rien gâcher, ce film a été découvert grâce à l'éditeur Wild Side Films, au catalogue regorgeant de pépites, et qui propose une conversion DVD absolument remarquable.