Zhou Zenong est le chef d'un gang de voleurs de motos qui s'embrouille avec une autre bande.Ca se termine par un règlement de comptes lors duquel il tue involontairement un policier.Devenu l'ennemi public numéro un,il part en cavale,poursuivi par la police mais aussi par les autres gangsters et par tout le monde en général vu que sa tête est mise à prix par les autorités.Ses complices lui envoient comme messagère une prostituée,Liu Aiai,avec laquelle il va tenter d'organiser son arrestation en contactant sa femme,Shujun,afin qu'elle le dénonce et touche la récompense,ce qui la mettrait,elle et leur fils,à l'abri financièrement.Alors comme ça les Chinois font des polars maintenant?On croyait qu'on ne fabriquait là-bas que des mélodrames pesants ou des films d'arts martiaux,mais le cinéma local semble s'occidentaliser et investir le genre,comme l'ont déjà fait les collègues asiatiques japonais,depuis longtemps déjà,ou plus récemment sud-coréens ou indiens.Le réalisateur-scénariste Diao Yi'nan est le fer de lance de cette "polarisation" et il connait un certain succès.Son "Black coal" de 2014 avait obtenu l'Ours d'Or à Berlin et "Le lac aux oies sauvages" a été présenté à Cannes en 2019.Il s'agit d'une jolie réussite et d'un film très surprenant sur plusieurs points.Visuellement,c'est une tuerie,au sens propre comme au figuré.Chaque plan est réglé de façon sophistiquée,et l'on sent que l'effet optique est recherché partout et tout le temps,dans les couleurs,dans les lumières,dans la profondeur de champ,dans les déplacements très chorégraphiés des personnages,dans la pluie nocturne,dans la construction en puzzle,dans les plans-séquences virtuoses.Diao traque également l'insolite avec obstination,multipliant les endroits bizarres,les protagonistes louches et les situations inattendues,au risque de verser parfois dans un maniérisme quelque peu artificiel.D'autant que les références cinéphiliques abondent,même si elles restent suffisamment courtes pour ne pas perturber le développement du récit.Sur une histoire de spirale tragique se resserrant inexorablement autour de personnages condamnés d'avance digne de Melville ou du film noir américain des fifties,on voit surgir au détour d'une scène des allusions à "Zoo in Budapest","A bout de souffle","La dame de Shanghai","L'empire des sens","Freaks" ou "M le maudit".Le cinéaste nous gratifie de moments curieux et très variés allant d'une danse en ligne avec chaussures fluos lumineuses sur le "Raspoutine" de Boney M au milieu d'un terrain vague,à une conférence sur les techniques de vol de moto dans les dépendances d'un hôtel douteux,d'une séance de bouée tractée sans bouée à une curieuse magouille nocturne à propos d'ateliers textiles,d'une errance dans une fête foraine déserte à des gros plans nocturnes d'animaux sauvages.Sur le fond,cette chasse à l'homme dresse un étonnant portrait de la Chine contemporaine.Vu d'ici,on s'imagine un pays ultra clean,bardé de technologie et tenu sous le boisseau d'un état férocement autoritaire.Un constat beaucoup moins évident quand on voit ce film qui nous présente au contraire du désordre anarchique,de la criminalité endémique,de la saleté,du commerce clandestin,des bâtiments décrépits ou des ruelles coupe-gorge.On apprend au passage que la Chine est le pays de la moto.Si ces gangs se tirent la bourre pour ce marché,c'est qu'il y en a partout,dans les rues,dans les cours des immeubles,dans les abords des fêtes ou des lieux touristiques,c'est comme les vélos en Hollande.Quant au fameux Lac aux oies sauvages,un titre bucolique qui fait très cinéma d'auteur asiatique emmerdifiant,ce n'est qu'une sorte de station balnéaire mal famée où prolifèrent les trafics et la prostitution.Le scénario n'est pas toujours clair,les réactions des personnages étant quelquefois peu compréhensibles et certaines ellipses semblant inutiles.Tout le monde trahit tout le monde,et à force on n'y comprend plus grand-chose,mais ce n'est pas si gênant dans la mesure où des rebondissements viennent régulièrement relancer une intrigue pleine de brutalité,de violence,et osant même la sexualité explicite,chose peu fréquente dans le ciné chinois.Si la description de la criminalité a de quoi surprendre,celle de la police et de ses méthodes n'est pas en reste.La traque d'un fugitif,surtout s'il a tué un policier,prend tout de suite des proportions gigantesques,voire disproportionnées,mobilisant des armées de fonctionnaires.Ca ne rigole pas du tout là-bas,et on fait le ménage sans états d'âme.Et quand on trouve le mec,on oublie les sommations et on le crible de balles de façon à bien le finir,style Mesrine au bon vieux temps.Et après on ne convoque pas l'IGPN,on se réunit autour du cadavre pour faire une jolie photo de groupe,genre fin de partie de chasse.C'est comme au Far West en somme,sauf que c'est plutôt le Far East,ce qui se confirme avec le système de la prime offerte à celui qui permettra de choper le malfaisant.Les acteurs sont fantastiques,qu'il s'agisse des vedettes ou des seconds rôles.Hu Ge,célèbre en son pays pour ses séries télé,campe un anti-héros tragique plein de sombre charisme et guidé par la rédemption.Le mec sait qu'il est foutu,et il tente de se racheter comme il peut en faisant bénéficier une famille qu'il avait négligée du prix de sa mort.La Taïwanaise Kwai Lun-mei,qui était déjà dans "Black coal",promène sa grâce féline et sa dégaine androgyne en prostituée manipulatrice qui essaie de retourner à son avantage une situation dans laquelle elle est censée n'être qu'un pion.Ce personnage mystérieux et ambigu symbolise la place inférieure des femmes,et plus encore des putes,dans une société très machiste qui ne leur reconnait qu'une valeur marchande.Le film est d'ailleurs féministe car au final ce sont les nanas qui s'en sortiront,lorsque tous les hommes se seront entretués.La jolie Wan Qian incarne justement l'autre femme,l'épouse légitime et abandonnée de Zenong,avec un magnifique talent.Perdue au centre d'un chaos magistral,mise sous pression par la police et par la pègre,elle trouvera cependant la force de résister,pour elle et pour son fils.L'excellent Liao Fan,Ours d'Argent à Berlin pour son rôle dans "Black coal",campe un commandant de police têtu et prêt à tout pour coincer sa proie,et Qi Dao ne manque pas d'allure en proxénète qui joue double-jeu.