Aaaaaah, et j'en arrive enfin à Le lac des morts-vivants, un film que Jean Rollin, qui traine d'accoutumée dans des cimetières, a signé sous le nom de J.A. Lazer, selon lui le surnom d'un balayeur qui trainait sur le plateau du film. J'ai attendu ce moment pendant si longtemps. Le genre de film dont la plupart des gens ne soupçonnent même pas l'existence. Mesdames et messieurs, notre rétrospective Jean Rollin continue aujourd'hui avec un monstre filmique d'une puissance terrible.
Pour la petite histoire, le "scénario" du film a été écrit par Jess Franco, un grand du bis qui devait à la base le réaliser. Cependant, une fois de plus, il s'engueule avec les Lesoeur (c'est-à-dire les tenanciers d'Eurociné, firme la plus fauchée de tout le ciné européen) et quitte le projet quelques jours avant le tournage. Dans l'urgence, Marius Lesoeur fait appel à Jean Rollin, un très gentil monsieur toujours présent dans les coups durs malgré son aversion pour le gore. Celui-ci est sur le point de partir en vacances. Amusé, il accepte et change de cap pour la campagne francilienne (dans le petit village de Soisy-sur-Ecole). Il tournera le film sans jamais lire le scénario, précieusement gardé par Lesoeur père et fils.
Armé du peu d'amour propre qu'il lui reste et d'un budget microscopique (si toutefois on peut encore appeler ça un budget), Rollin tente comme il peut de faire tenir debout cette géante farce. Les acteurs sont tous des gens du cru (sauf Howard Vernon, on se demande comment il a pu atterrir ici) et ça se voit : les figurants se marrent dans le cadre, ou pire, dans les plans sous-lacustres, on voit un zombie remonter à la surface pour respirer. Bien évidemment, lesdites scènes sont tournées dans une piscine, dont on voit les bords et surtout l'échelle. Le sang orange et les bruitages (qui se résument à des clapotis dans une bassine d'eau) n'aident pas non plus. L'équipe de tournage est tellement réduite que Rollin se verra obligé de jouer le rôle d'un inspecteur de police. A part ça, sa présence n'est indiquée que par la photographie étonnamment belle du long-métrage.
Cependant, le moment culte du film provient d’un petit figurant "maison" nommé Edmond Besnard, que l'on a pu apercevoir dans d'autres séries-Z-de-fond-de-catalogue de chez Eurociné, comme Pigalle, carrefour des illusions ou le navrant La pension des surdoués. En fait, la réplique en question lui est souvent attribuée alors que je pense que c'est le fait d'arme de son doubleur, probablement dans un délire éthyllique. Quoiqu'il en soit, dans une scène vers la fin du film, le maire (Howard Vernon donc) harangue la foule (c'est-à-dire 10 personnes) et l'exhorte à combattre les zombies comme elle peut. Il lance un "préparez vos fusils" alors qu'ils ont tous déjà un fusil à la main (quoique, ils n'en avaient pas sur le plan d'avant, c'est la magie du faux raccord) puis un "plusieurs personnes sont mortes dont ces deux policiers restés sceptiques" bien placé comme il faut. Cependant, le moment magique de la scène arrive juste après. En effet, dans la clameur générale et les hurlements mal synchronisés sur les lèvres des figurants, le personnage d'Edmond Besnard (ou plutôt son doubleur), lâche un magnifique "promizoulin, finissons-en !" dont le mystère reste entier, encore aujourd'hui.
Acclamé par beaucoup comme le plus grand nanar français de tous les temps, et ce malgré la concurrence de White Fire, bible de Nanarland, Le lac des morts-vivants reste à la fois une exception dans la carrière de Jean Rollin mais aussi dans le cinéma français en général. Une oeuvre totalement en-dehors de son univers. Rollin, venu tourner le film sans aucun sérieux, s'étonna des méthodes de tournage misérabilistes de la famille Lesoeur (il raconte que le midi, ils mangeaient des sandwichs dans la voiture) et du fait que pour eux (les Lesoeur), des films comme Le lac des morts-vivants étaient de bons films (!)
Edmond Besnard nous a quittés le 9 Janvier 2009, mais les membres de l'équipe de doublage responsable du film sont peut-être encore de ce monde. Espérons que quelqu'un découvre le secret du "promizoulin", avant que son auteur (si ça n'est pas Edmond Besnard lui-même) emporte cette énigme sacrée dans sa tombe.