130 ans de cinéma
Le dernier film en date de Godard, palme d'or spéciale à Cannes, est sans doute l'apogée de son cinéma, voire même l'apogée du cinéma. Il aura fallu quelque chose comme 130 ans pour arriver à ça,...
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le 14 déc. 2018
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-Laissons-nous aller, voulez-vous s'il vous plait, à quelques innocents exercices de pensées sous l'égide de Godard, notre gentil et bien-aimé patron à tous, à l'occasion de cet amusant revisionnage.
-Cet effet hypnotique du cinéma de Godard, conséquent à une construction solide et supra-raffinée. Car les bons films (pas que les Godard, mais les Godard à fortiori), arrivent toujours à créer une espèce d'impression de foutoir, justement de par leur organisation renforcée et exhaustive. C'est l'effet contraste, ou paradoxe, qu'on peut observer du reste partout dans le monde, dans tous les domaines où l'être humain entre en jeu : Et si les nazis ou les communistes ou les extrémistes religieux sont des gens très dangereux c'est justement parce qu'ils ne donnent pas cette impression de foutoir, concrètement.
-"Quand un siècle se dissout lentement dans le siècle suivant, quelques individus transforment les moyens de survie anciens, en moyens nouveaux. Ce sont ces derniers, que nous appelons Art." Tout est là. C'est un peu la même chose que ce que je disais dans le paragraphe précédent du reste, l'art est toujours à cheval entre deux moments, d'où le fait qu'il ne représente aucun moment puisqu'il est par nature "à cheval", "entre", un trou sans existence marquable, ni reconnaissance, une béance, un vide. Ni ancien ni nouveau. Ou ni droite ni gauche, quoi. Cette fascination de Godard pour le mélange est fascinante, mais encore une fois c'est une fascination qu'on peut déceler dans TOUS les bons films, même dans des films réussis de pourtant très mauvais cinéastes, exemple, Memories of murder ou Mia Madre ou Une belle fille comme moi ect ect. D'où on peut inférer que, quelque part, sans mélange entre ancien et nouveau, entre réalité et fiction, il n'y'a aucun bon film qui puisse tenir le coup, aucune viabilité. Et il est grand de voir à quel point Godard est resté dans cet "entre-deux" continuel, perpétuel, à partir du moment où il a vraiment commencé à être très bon (en gros à partir de Numéro deux, ou à partir du moment où il a compris que la réalité sans imaginaire ne vaut rien, de la même façon que l'imaginaire sans réalité ne vaut rien aussi, bien entendu), se refusant alors, obstinément, à faire des films que ce soit pour le système ou contre le système. (Car pour et contre, dans un monde aliéné, c'est la même chose, si seulement des gens comme Lapid ou tant d'autres par exemple pouvaient comprendre ça...). A cette phrase Godard ajoute "Aucune activité ne deviendra un art, avant que son époque ne soit terminée" : Ce qui peut expliquer, par exemple, tiens, la beauté des films de Rohmer, où Rohmer met une façon de parler/sentir qui date d'un monde presque d'avant-guerre dans des jeunes des années 80/90. Ce qui peut expliquer aussi la beauté d'un film comme Compartiment n°6, où Kuosmanen se restreint à montrer dans un train une simple relation humaine naissante tandis qu'on vit dans un monde où on tourne dans des trains d'absurdes films de zombie ou de fin du monde, sans "foi ni loi". L'art est un jeu perpétuel, un perpétuel jeu intellectuel qui n'en finit jamais, qui ne peut finir, tout comme l'histoire ne peut finir, tout comme tout est perpétuellement en jeu à chaque instant, et le sera encore jusqu'à la fin des temps. Godard ajoute encore, juste après cette seconde phrase, "Ensuite, cet art disparaîtra." Eh oui. Puisqu'un monde nouveau apparait, un art nouveau, nécessairement, doit apparaitre. Un art nouveau qui prend note du monde nouveau, par exemple, parmi les meilleurs cinéastes d'aujourd'hui on peut citer des gens comme James Gunn ou Matthew Vaughn dont les films sont "influencés" fortement par des éléments tels que la série-télé ou par les jeux-vidéos, les mangas : N'oublions pas que nous vivons dans un monde où le jeu-vidéo est le produit culturel le plus populaire, de loiiiin, voilà des cinéastes qui ont "vu" cette vérité, qui l'assument, qui font avec, qui ne font pas comme si genre ça n'existait pas ou genre c'est "indigne" pour nous cinéastes d'aimer les jeux-vidéos. Tut-tut-tut-tutte, pas de ça.
-Les films de Godard (tous les bons films encore une fois, à fortiori les Godard), stimulent puissamment l'intellect et la spiritualité, les deux étant liés solidement. Et pendant ces films on ne peut s'empêcher de sentir nos cœurs se dilater en même temps que nos cerveaux bouillonner... De plaisir, de douceur et de plaisir !
-Une autre phrase : "Je me croirais le plus heureux des mortels, si je pouvais faire que les hommes puissent se guérir de leur préjugés, j'appelle ici préjugés, non pas ce qui fait qu'on ignore de certaines choses, mais ce qui fait qu'on ignore soi-même."
-Une autre : "L'homme, cet être flexible, se pliant dans la société aux pensées et aux impressions des autres, est également capable de connaitre sa propre nature, lorsqu'on la lui montre, et d'en perdre jusqu'au sentiment, lorsqu'on la lui dérobe."
-On voit des photos de Céline, de Rivette, de Rohmer, Dumas père, ect ect.
-"Je suivais mon objet, sans former des desseins, je ne connaissais ni les règles ni les exceptions, et je ne trouvais la vérité, que pour la perdre."
-"Dans l'attente, le temps qui permet d'attendre se perd, pour mieux répondre à l'attente. Et l'attente, qui a lieu dans le temps, ouvre le temps à l'absence de temps, où il n'y'a pas lieu d'attendre." Quelle mélancolie ! Quelle sublime mélancolie, quelle folle dignité dans l'isolement et la solitude, et donc, quel sublime savoir-vivre. La vie de Godard ressemble un peu à celle de Vitalina Varela, toute seule dans sa maison, avec ses démons, son amertume éternelle, mais sa grandeur quand même, sa résistance véritable.
-"Dans l'ombre de l'Occident, il est certain que la représentation, plus particulièrement l'acte de représenter, implique presque toujours une violence envers le sujet de la représentation, il y'a un réel contraste entre la violence de l'acte de représenter, et le calme intérieur de la représentation elle-même." No fucking comment; une phrase qui à elle-seule annihile 95% de la production, car, sans un certain haut niveau de calme intérieur, la représentation n'a tout simplement pas lieu d'être. Ah merci cher Jean-Luc, je ne l'aurais certainement pas mieux dit.
-"Les arabes n'intéressent pas le monde, les musulmans non plus. Si l'islam retient politiquement l'attention, le monde arabe est d'abord décors, et paysages."
-"Dans l'harmonie, les accords produisent les mélodies. Dans le contrepoint, ce sont les mélodies, elles-mêmes, dont, à l'inverse, résultent les accords." Le cinéma est à l'heure du contrepoint, même, du reste, dans des films de genre, et by God que Godard en est le saint-patron.
-"Les frondeurs irréductibles de l'ordre établi avaient depuis longtemps renoncer à toute action brutale, la considérant comme inadéquate, dans cette oasis misérable, mais où régnait une paix souveraine; car, là où il n'y'a rien, même les scélérats se résignent à l'indigence...La pauvreté d'un pays est sa seule sauvegarde contre les rapaces, armés ou non, qui n'attendait qu'une promesse de profit pour venir le conquérir, le détruire, et le pourrir, et Samantar remerciait le ciel, d'être née dans cette île désertique, dénuée de toute matière première..."
-"C'est l'excuse de toute ambition (film) politique, que de prétendre se sacrifier pour le bonheur du peuple (du spectateur); mais le peuple (le spectateur) t'as rien demandé !!!... Que nous importe ce monde qui bouge, ce sont tous des canailles."
-"Discuter avec un fou est un privilège inestimable. Crois-moi, on n'est jamais suffisamment triste, pour que le monde soit meilleur. La terre... Etouffée, par les connaissances, et plus guère d'oreilles, qui ne soient à l'écoute."
-"La langue ne sera jamais le langage."
-"Lorsque je me parle à moi même, je parle la parole d'un autre que je me parle à moi-même."
-"Et si même rien ne devait être comme nous l'avions espéré, cela ne changerait rien à nos espérances; les espérances resteraient et l'utopie serait nécessaire. Plus tard aussi les espérances embraseraient de nombreuses fois étouffés par l'ennemi plus fort, et elles se réveilleraient sans cesse."
-Ne pas mettre ce film dans un Top-10 all-time est commettre un crime de lèse-majesté. Mais bon, de toutes façons les laïques ne croiront pas à Sa majesté Godard, donc, ce n'est pas grave, on ne peut expliquer certaines choses. Et puis, imaginer la tête des "gens biens", suffoqués d'incrédulité devant l'outrance structurelle de ce film, est un plaisir dont intérieurement je ne me lasserais jamais.
-C'est encore meilleur que dans mon souvenir. Aussi vrai que tous les bons films se bonifient avec le temps, qui sait si bien en ratiboiser les quelques scories légères pour mettre en lumière les passages secrets, les serrures indistinctes, magnifiques, et, oserais-je dire, obstinément paranormales, toutes en Parménide et en intuitions...
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le 2 févr. 2022
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