Au beau milieu de la jungle indienne, la panthère Bagheera découvre un bébé humain abandonné qu’il nomme Mowgli. Il le confie à une famille de loups, où le jeune garçon grandit et se lie d’amitié avec les autres animaux de la jungle. Mais voilà que le terrible tigre Shere Khan vient rôder dans les parages, et s’il découvre Mowgli, il n’en fera qu’une bouchée… Bagheera décide alors de ramener ce dernier dans un village d’hommes, mais Mowgli n’en a aucune envie.
Suite à la déception Merlin l'enchanteur, le scénariste Bill Peet décide de changer de style et de se tourner à nouveau vers les récits animaliers dans lesquels les studios Disney ont excellé. Avec Le Livre de la jungle, il déplace donc son histoire dans un cadre encore inédit pour les animateurs, la jungle indienne, rappelant, s’il en était besoin, l’incroyable capacité d’adaptation des studios aux grandes oreilles. Toutefois, Bill Peet quittera le projet avant la fin, Walt Disney s’étant impliqué bien davantage que précédemment dans la production de ce nouveau long-métrage, comme poussé par une prémonition de sa mort prochaine, et ayant rejeté le premier script trop sombre du scénariste.
De fait, les scénaristes Ralph Wright, Vance Gerry, Ken Anderson et Larry Clemmons font le parti-pris de l’humour intégral. Le Livre de la jungle est donc avant tout une vraie comédie, et c’est ce qui fait sa réussite, tant ses gags parviennent à être tous hilarants et à maintenir un rythme constant, à l’inverse de Merlin l’enchanteur, dont le rythme inégal mettait par trop l’accent sur la pauvreté du récit.
Studios Disney obligent, au niveau visuel, le film de Wolfgang Reitherman est une splendeur de tous les instants, par le fait des sublimes décors d’Al Dempster qui, renouant avec les fonds entièrement peints et non plus dessinés comme dans Les 101 dalmatiens, retranscrivent à merveille l’atmosphère menaçante et colorée de la jungle, aidés en cela par une délicieuse partition de George Bruns, entrecoupée de chansons mémorables signées des frères Sherman (avec une exception pour Il en faut peu pour être heureux, de Terry Gilkyson) jamais envahissantes.
Mais la qualité des décors ne serait rien s’ils n’étaient peuplés par des personnages attachants et hauts en couleurs, et c’est évidemment le cas ici, chacun des protagonistes du récit suscitant la sympathie du spectateur par un caractère parfaitement écrit et développé.
Rompant là aussi avec Merlin l’enchanteur, Le Livre de la jungle nous propose en outre une vraie évolution des personnages, particulièrement à travers celui de Baloo, et du dilemme qui l’agite, entre prendre Mowgli sous son aile ou le ramener à la civilisation, mais également grâce à Mowgli lui-même, qui découvrira par les péripéties qu’il traverse la vraie valeur de l’amitié et le sens des responsabilités.
Car ici plus que jamais, les studios Disney font preuve de leur capacité unique à mêler indissociablement humour et émotion, à tel point qu’aucune scène ne fonctionnerait si on enlevait l’un ou l’autre, induisant une profondeur étonnante. Ainsi, par-delà la pure comédie, c’est une vraie et intelligente leçon de vie qu’offre Reitherman à son jeune public, diffusant un superbe message sain et universel. Un message biblique, pourrait-on dire, puisque Bagheera n’hésite pas à reprendre presque mot pour mot le message de Jésus lui-même : « La plus grande preuve d’amour qu’on peut donner à un ami, c’est de lui sacrifier sa vie. »
La providence ayant toujours eu un sens de l’humour particulièrement développé, Walt Disney ne tarda pas à illustrer lui-même cette phrase, en rejoignant son créateur après avoir sacrifié sa vie entière à son art et à son public. Dès lors, cette citation de Bagheera apparaît naturellement comme un testament laissé au monde entier par le plus grand maître de l’animation que le cinéma ait connu, un homme dont la générosité n’eut d’égal que le génie, et qui restera à jamais gravé dans l’Histoire comme la preuve que la volonté, le travail et la ténacité peuvent suffire à changer le monde.