Bizarrement, il y a des films que je n'ai pas envie de voir, sans pouvoir le justifier par le moindre argument. Ainsi, j'adore Scorsese (d'ailleurs, à vrai dire, je ne connais personne qui n'aime pas Scorsese). Mais je n'ai résolument pas envie de voir Hugo Cabret, et ce Loup ne m'attirait pas plus que ça. L'idée de voir un jeune plein de fric ramoner des putes et se récurer le nez pendant trois plombes, le tout sur fond de critique que je pressentais lourdingue du système capitaliste, ça ne me bottait vraiment pas.
Et puis, un jour, profitant d'une absence inopinée de madame SanFelice et des lardons, partis se dorer la pilule dans les rues de Valence (dans la Drôme, pas en Espagne), sur un coup de tête, je fus pris de l'envie de voir ce film comme d'une envie de pisser. Ni une ni deux, je le téléch... je me le procure en VOST, bien entendu, et c'est parti !
Conclusion : ce n'est clairement pas mon préféré du cinéaste, même s'il y a quelques points positifs. L'interprétation est remarquable. Ce n'est pas une surprise de la part de DiCaprio, dont la carrière scorsesienne est magnifique. Mais Jonah Hill m'a impressionné ! Le bouffon s'est transcendé. Il est magistral. Le reste du casting est excellent aussi, avec, entre autres, pas mal de collègues du cinéaste : Spike Jonze, Rob Reiner...
Pas de doute, Scorsese sait ce qu'il fait, depuis le temps, donc pas vraiment de surprises là-dessus.
Et pourtant, j'ai été gêné. En admirateur de Casino, j'ai quand même trouvé que Le Loup... pompait beaucoup sur son glorieux prédécesseur (et c'est certain que l'on pompe beaucoup, dans ce film). Quelques exemples :
_ la durée, bien sûr
_ narration en voix off par le personnage principal
_ description d'un monde clos sur lui-même dans lequel l'argent constitue la seule morale et où tous les moyens sont bons pour arriver à en avoir, y compris les moins avouables (ce qui est interdit, ce n'est pas de frauder, c'est de se faire attraper). L'univers décrit dans chacun des deux films se veut d'ailleurs une image, une métaphore de notre monde contemporain, bien sûr ("Stratton Aokmont is America")
_ la construction quasiment identique, avec la description du fonctionnement du monde au début (ici, la description est faite par un Matthew McConaughey assez formidable ; dans Casino, c'est par Joe Pesci), puis l'ascension et enfin la chute du personnage, dans des proportions à peu près identiques
_ un "fuck" toutes les quinze secondes environ
_ une mise en scène quasiment identique, avec des plans courts, un montage très travaillé (il faut dire que le Scorsese travaille, comme toujours, avec l'époustouflante Thelma Schoonmaker, veuve du cinéaste Michael Powell et qui a obtenu trois oscars, à chaque fois pour un film scorsesien), une utilisation thématique de la musique (en rapport avec l'histoire ; il y a quand même "ça plane pour moi", de Plastic Bertrand !), etc.
_ et vous ne trouvez pas que la blonde, elle ressemble énormément à Sharon Stone ? Jusque dans sa façon de quitter le personnage principal, qui est presque identique dans les deux films.
Un manque d'originalité qui ressemble beaucoup à un manque d'inspiration, parfois. Le film manque de souffle, il manque d'ampleur et certaines scènes font plus que frôler le ridicule (Lemmon 714, par exemple). Exagération, manque de finesse, et manque de rythme. J'ai tenu 1h30 assez sympa, au début, mais la seconde moitié se traine en longueur; le film paraît même interminable. Les procédés qu'il emploie sont lourds, aussi bien dans la narration que dans la réalisation. je peux comprendre qu'il ait voulu en faire un film de clowns, mais ça n'est vraiment pas passé.
Un film indigeste, sans originalité, facilement oubliable dans la carrière de Scorsese, donc, si ce n'est pour la qualité de son interprétation et quelques flashs réussis.
Ainsi, je ne résiste pas à la tentation de vous livrer un petit extrait du dialogue DiCaprio (Jordan Belfort) // Matthew McConaughey (Mark Hanna) :
M.H. : "Le but du jeu : prendre l'argent de tes clients et le mettre dans tes poches.
J.B. : Oui mais si nos clients s'enrichissent en même temps, tout le monde y gagne. Exact ?
_ Non. Voici la règle n°1 de Wall Street : personne, que ce soit Warren Buffet ou Jimmy Buffet, personne ne sait si le cours d'une action va monter, baisser, aller de côté ou tourner en rond. Surtout pas les courtiers. C'est une fourberie. Sais-tu ce que ça veut dire ?
_ ça veut dire que c'est truqué ?
_ De la poudre de perlimpinpin. ça n'existe pas. ça n'a jamais atteint le sol. C'est immatériel. C'est exclu du tableau périodique. Ce n'est pas réel. On ne crée rien du tout. On ne bâtit rien du tout. Si un client a acheté une action à 8$ et que sa valeur a grimpé à 16$, il est tout content. Il veut encaisser, liquider, prendre sa cagnotte et filer. On ne le laisse pas faire. Parce que l'argent deviendrait réel. Qu'est-ce qu'on fait ? On trouve une autre idée géniale. Une autre situation. Une autre action pour qu'il réinvestisse ses gains, et même plus. Et il le fera. Chaque fois. Parce que nos clients sont accros. On fait ça encore et encore. Pendant ce temps-là il croit amasser un magot et c'est vrai sur papier. Mais toi et moi, on empoche du vrai argent, grâce à nos commissions."