Jordan Belfort, ou comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la coke
Les premières images annoncent la couleur, le lion est lâché, après avoir fait des films "gentils" dans sa cage, il revient en grande forme, rappelant sa décennie glorieuse des nineties, avec cette orgie féroce de trois heures sur les excès plus immoraux les uns que les autres de ces courtiers de Wall Street. Le schéma narratif est absolument le même que celui des Affranchis, mais on s'en fiche : Scorsese n'a pas besoin de réinventer son cinéma pour sortir un grand film (le terme est un peu fort pour son dernier mais bon, c'est quand même du haut calibre), il doit faire et refaire des films identiques à Casino et Les Affranchis, en changeant juste le cadre et le contexte, c'est la voie cinématographique où il est le plus à l'aise, quitte à faire des films mal-aimables.
Car oui, Le Loup de Wall Street est mal-aimable. Du point de vue de ses personnages, pour lequel le cinéaste éprouve une fascination extrême, l'histoire évolue dans un décor misogyne, orgiaque, méprisant la classe moyenne, les personnages ne sont plus que des pantins sans lois ni foi désarticulés par la coke et l'alcool, se sentant surpuissants et supérieurs à toute personne n'ayant pas l'intention de produire le maximum d'argent possible.
Mal-aimable mais indispensable, car le film n'aurait pas sa force si ses personnage n'étaient pas aussi profondément antipathiques. Jouissif, se dégustant avec la formidable bande-originale sous un bain de soleil auquel les personnages se baignent dans une idylle jusqu'alors sans autorité, le film est aussi choquant, entres scènes sexuelles très crues (des films -16 sont plus soft), et propos d'un mépris absolument indépassable d'un DiCaprio au meilleur de sa forme dans le plus grand rôle de sa carrière, absolument brillantissime et qui ne se ridiculise pas dans des chutes du quatrième mur couillues mais particulièrement habiles. A côté de ces scènes de débauche, j'ai également trouvé de belles scènes, particulièrement l'avant-dernière, avec cet agent du FBI qui observe, mélancoliquement, la classe moyenne dans le métro dont il aurait pu s'échapper si il avait cédé aux corruptions de Jordan Belfort. Car au fond, c'est ça le propos majeur du film : la tentation de l'argent, source majeure et désormais unique du pouvoir, de la reconnaissance de l'autrui naïf et envieux, Di Caprio est, avec sa bande qui joue tout aussi bien que lui, le Tony Montana financier des années 90 qui est né dans une période qui ne lui correspondait pas, exactement comme le protagoniste du film de De Palma. Un qui veut construire un véritable Empire Romain, l'autre qui veut reproduire les avantages de la richesse des sixties avec un côté chic vintage, mais avec en plus une immonde perversité qui casse toute la classe dont il a cherché à s'emparer.
Cependant, et cela est sûrement dû aux conditions de production, le film aurait gagné à être un grand film si il s'attaquait davantage au système capitaliste en dépit de quelques scènes crues. Assez regrettable, mais un regret que l'on oublie presque en voyant cette grandiose chute (avec un formidable Jonah Hill effaçant, le regard vide de tout sentiment, les informations qui ont constitué sa richesse, sa réussite et sa raison de vivre, ne s'intéressant à peine à la destruction de son empire) dont seul Scorsese a le secret.
Une fresque absurde et déglinguée, des acteurs endiablés, un propos extrêmement pertinent sur notre époque et un montage qui mérite bien des superlatifs : pas de doute, c'est la résurrection du cinéaste.