Au pays des loups et des moutons...
Indéniablement, ce film est bien réalisé, bien écrit, bien joué. On ne s'ennuie pas une seule seconde, on rigole devant tant de bêtise (la scène où Belfort, complètement ravagé par une drogue expérimentale, veut conduire sa Lamborghini, la scène des nains, et plein d'autres), on est estomaqué devant la cupidité de ces courtiers. Mais on ressent une sorte de malaise diffus pendant tout le long métrage. Où veut donc en venir Scorsese ? On a le droit à la sempiternelle trajectoire ascension fulgurante / gloire et excès / et chute brutale (cf. « Raging Bull », « Les Affranchis » ou « Casino »). Mais Scorsese est-il critique envers ce jeune loup aux dents acérées et qui veut faire sa fortune sur le dos des gens ? Ou se laisse-t-il plutôt fasciner par toute cette débauche de fric, de drogue et de sexe qu'il filme avec une grande précision (et une grande complaisance) ? Je ne sais pas mais j'ai ma petite idée : sans doute les deux... même s'il penche peut-être davantage pour la deuxième option. Scorsese a toujours été ambivalent dans ses films sur la mafia, souvent violents : il semblait comme ébloui par le clinquant de ses mafieux et leurs excès en tous genre. Seule la chute venait timidement les ramener à la réalité. Ici, on peut dire qu'on a droit à 3h de sexe en tout genre avec prise de toute une variété de drogues, brillamment documentées par la voix-off et la constatation des effets. Cela comporte deux dangers : 1) croire et faire croire que la finance « est vraiment comme ça », alors que c'est le fait, certes bien réel, de quelques individus seulement ; 2) inciter des jeunes à devenir à leur tour des traders cupides et dégénérés, avides d'argent facile, de sexe et de drogue. Car tout semble réussir aux anti-héros de Scorsese, et ils semblent s'éclater à fond. Pourquoi, dans ce cas, ne pas les imiter ? Tout comme le fameux « Wall Street » d'Oliver Stone en son temps, « Le Loup de Wall Street » sera sûrement (j'en mettrais ma main à couper) le déclencheur de bien des carrières de jeunes requins prêts littéralement à tout pour s'enrichir facilement et rapidement aux dépens des autres. Toutefois, je reconnais une chose à Martin Scorsese, c'est qu'il nous dit que personne n'est innocent : les pigeons arnaqués par Belfort et sa bande voulaient s'enrichir rapidement sans chercher à comprendre comment, tout comme l'assemblée du dernier plan, prête à recevoir les enseignements de Belfort pour à son tour devenir une bande d'arrivistes sans foi ni loi. De ceux qui exigent des rendements excessifs (ça peut être le petit retraité de Californie comme l'épargnant français de base) aux opérateurs de marché complètement immoraux, non, personne n'est innocent.
PS : il convient de noter qu'auparavant, la profession de trader ne nécessitait pas d'avoir fait d'études. Ce qui explique l'absence de vision de ces individus à l'époque, et aussi l'hypocrisie de l'époque actuelle qui forme des flopées de Bac + 5 pour faire de la vente pure et simple, d'où les mécanismes complètement tordus créés par ces têtes d’œuf frustrées, qui nous on conduit à la crise que l'on connaît.