On découvre dans A Tree Grows in Brooklyn, premier long-métrage de Kazan, une familiarité troublante avec le cinéma de F. Capra : fable humaine, personnages ordinaires confrontés à de grands défis, le tout avec une touche d'émotion, une forte dimension morale et une foi inébranlable en la bonté. Toutefois Kazan opte pour un souci de réalisme qui lui refuse tout optimisme niais ; au contraire : sous la pureté des premières neiges, la mort menace, la tragédie s’immisce inéluctablement, les dilemmes divisent l’unité, les ressentiments sourdent.
Les conflits dramatiques, la mise en scène, le soin apporté à la lumière et au décor, la famille divisée, la pauvreté, les intérieurs modestes rappellent par ailleurs Un tramway nommé désir. Cependant, si Brando y laisse exploser sa rage virile et fait trembler de peur sa femme, ici Johnny (James Dunn, qui remportera un Oscar), contrôle ses émotions, malgré l’alcool et la précarité, et campe un père de famille compréhensif avec sa femme et surtout très proche de sa fille. Le rapport père / fille nourrit d’ailleurs le film et l’élève au-dessus du misérabilisme : leur entente fusionnelle introduit de l’amour pur que les problèmes matériels et la morale étouffent. Ce duo est à opposer à celui constitué par la mère et le fils, très terre à terre, la première enfermée dans son foyer, emprisonné par la tenue de son ménage, les mains perpétuellement dans la crasse, le second ne pensant qu’à manger, dormir et à gagner quelques sous, tandis que sa sœur, à l’image de son père, rêve à voix haute, possède une imagination féconde et a une ambition pleine d’espoir - autrement dit, les uns tirés vers la verticalité, les autres condamnés à l'horizontalité. C’est sur elle que le repose la force pathétique du film : elle s’inscrit même dans le titre, lui faisant référence à travers la métaphore de l’arbre qui repousse. C’est aussi sur elle que repose l’espoir vers un futur meilleur, rendu possible grâce à l’école, sans oublier sa volonté inébranlable de s’en sortir et la confiance totale de son père.
En adaptant le roman éponyme de Betty Smith, Kazan n’oublie toutefois pas son passé au théâtre comme metteur en scène : il dirige parfaitement ses acteurs et sait recréer une vie dans les intérieurs, sans non plus filmer du théâtre au cinéma en s’enfermant dans un huit clos. Grâce aux studios de la Century Fox, Kazan ouvre l’horizon à l’extérieur : la cage d’escalier, la rue, les boutiques du coin, la vie de quartier sont autant de lieux où la caméra se déplace. Des interactions sociales, des amitiés et des disputes y ont lieu, en même temps que la parole s’y meut : les commérages s’y complaisent, conduisant à l’inévitable importance excessive du qu’en-dira-t-on et du regard des autres sur soi et les siens dans un Brooklyn où tout le monde ou presque se connaît. Cependant grâce à la pluralité de personnages (la sœur/tante Sissy entre autres, incarnée par la pétillante Joan Blondell, personnage hors norme, libre, franche et maligne), des points de vue différents apparaissent, ce qui permet une plus riche réflexion sur les questions de morale (mariage et remariage), de sentiments amoureux, d’économie ou d’éducation, au centre du film, et l’éloigne d’un conservatisme contraint et subi.
Au milieu de la misère et du drame social, Kazan laisse un message d’espoir : une nouvelle génération, pleine d’illusion.