François Merlin est un écrivain minable qui végète en usinant à la chaîne des romans d'espionnage dont le héros,l'agent secret Bob Saint-Clar,est tout ce qu'il rêverait d'être:beau,musclé,élégant,décontracté,séducteur et redoutablement efficace quand il s'agit d'éliminer la vermine ennemie.L'auteur se projette dans son personnage et utilise les gens qu'il rencontre dans la vie réelle pour imaginer les autres protagonistes de ses livres.Le film alterne les scènes figurant Merlin dans sa vie misérable et celles avec l'imaginaire Saint-Clar sauvant le Monde libre dans des décors exotiques."Le magnifique" est une jolie réussite de Philippe de Broca malgré une genèse difficile,comme quoi....Au départ le réalisateur coécrivait avec Francis Veber mais les deux hommes se sont embrouillés à propos d'un désaccord concernant l'importance du rôle tenu par Jacqueline Bisset,la jolie fille de service,que le cinéaste voulait mettre plus en exergue que son coscénariste,ce qui a entraîné le départ de Veber et l'arrivée de Jean-Paul Rappeneau et Daniel Boulanger afin de compléter le script.Tous ces bidouillages n'ont pourtant pas nui à l'histoire,qui est très équilibrée au final.De Broca signe une réalisation enlevée,mêlant harmonieusement work in progress difficile et parodie délirante des "James Bond".Il s'est entouré de collaborateurs habituels dont le travail est de haut niveau,des décors fabuleux de François de Lamothe,qui a aussi beaucoup bossé pour Deray,parfois dignes des 007,à la belle photo de René Mathelin,souvent collaborateur d'Yves Robert,qui maîtrise aussi bien la grande luminosité des séquences mexicaines que la grisaille parisienne,en passant par le montage dynamique d'Henri Lanoë,un fidèle de Deray et Verneuil,et la musique tonique et mélodique du jazzman Claude Bolling.Des moyens financiers conséquents ont été mis en oeuvre grâce au duo de producteurs d'origine russe Alexandre Mnouchkine-Georges Dancigers,les moguls des Films Ariane,ainsi nommés en référence à la fille de Mnouchkine,future réalisatrice de "Molière",et aux italiens de Cineriz car c'est une coprod.Du coup on a tourné une bonne partie du film au Mexique,du côté de Puerto Vallarta,avec des tas de costumes,de véhicules divers,de cascades,de poursuites,de repaires secrets,des mariachis,le réalisateur en profitant pour s'éclater avec des plans aériens ou sous-marins.Cette débauche de scènes spectaculaires et colorées s'avère désopilante tant les situations et les comportements des personnages sont délibérément excessifs et de Broca sait de plus enchaîner en souplesse et de manière imaginative avec les retours à la réalité dans l'appartement miteux où Merlin se démène sur sa machine à écrire.Cette partie du film est drôle mais l'humour y est moins présent,sa fonction étant de développer une réflexion sur la création artistique,les rapports entre réalité et fiction et le statut peu enviable des soutiers de la littérature qui doivent pour un maigre salaire débiter du roman de gare au kilomètre.On assiste ainsi aux désagréments subis par Merlin,auteur fauché qui se défoule dans ses bouquins,où il règle ses comptes avec ceux qui l'ont emmerdé dans la journée et qu'il imagine à l'intérieur des aventures de Saint-Clar,qu'il s'agisse du plombier et de l'électricien qui renâclent à réparer sa salle de bains,du contractuel qui lui colle une prune ou de son éditeur négrier qui lui refuse une avance.On le voit également attribuer l'image de la belle espionne Tatiana à sa voisine Christine,une sociologue mignonne comme tout qu'il aimerait bien emballer,ou écouter les conseils de son fils qui lui recommande d'en rajouter dans la violence.On en arrive par conséquent à des débordements inattendus,d'autant que François commence à saturer avec ces romans et qu'il se met à maltraiter salement son héros et sa collègue.Des mecs se font cribler de balles,le sang gicle et se répand partout façon rivière rouge,on plante un type sur un piquet,les héros sont projetés dans la boue ou dans des eaux saumâtres et après que Merlin se soit fâché avec Christine il se venge en faisant subir à Tatiana une incroyable série de viols.La fin sera un peu expédiée et abrupte mais l'ensemble constitue un divertissement de très bonne facture,nous plongeant dans l'imaginaire fécond d'un écrivain qui parcourt la planète et vit des aventures débridées sans quitter sa chaise dans un appart parisien.Jean-Paul Belmondo,un des acteurs fétiches de de Broca, et Jacqueline Bisset parviennent à être crédibles sur des registres totalement différents dans leurs double-rôles de plumitif à la dérive transformé en espion flamboyant et de petite universitaire coincée devenant une irrésistible et incandescente "Bob Saint-Clar girl",les deux comédiens effectuant des performances mémorables.L'italien Vittorio Caprioli hérite lui aussi d'un double-rôle et s'avère très bon en éditeur exploiteur fantasmé en grand méchant bondien sous l'apparence d'un colonel albanais mafieux.On a en outre le plaisir de voir surgir au détour d'une scène ou juste d'un plan les visages familiers de Monique Tarbès,Mario David,Raymond Gérôme,Jean Lefebvre,Hans Meyer,André Weber,Hubert Deschamps,Bernard Musson Micha Bayard ,Henri Czarniak ou Sébastien Floche.Le fils de Bébel est incarné par un jeune homme incroyablement laid qui s'arrangera en vieillissant puisqu'il s'agit de José Paul,qui se fera connaître dans les années 80-90 comme humoriste dans l'émission de FR3 "La classe",dans laquelle il jouait des sketches avec le défunt Alain Goison,mais il fera essentiellement carrière au théâtre et à la télé,n'apparaissant que cinq fois au cinéma,et dans des emplois subalternes.