Film de la période muette du cinéaste danois, Le Maitre du Logis a tout de l’œuvre de commande qui pourrait se révéler bien impersonnelle. Adaptation d’une pièce de théâtre, c’est en effet une parabole explicite à l’extrême sur la vie conjugale, enjoignant les maris à honorer leurs femmes, à grand renforts de cartons mettant en majuscule ce qui relève pratiquement de l’instruction civique. Certes, un tel discours en 1925, relevant du quasi féminisme, est loin d’être vain, et la vision donnée des travaux alloués aux femmes met en lumière ce que tous ignorent, ou feignent de ne pas voir.
La stylistique est donc rivée à ce double cadrage : le théâtre (avec les unités de lieu, de temps, d’action, sur un espace et un nombre de personnages très réduits), proche de cette esthétique du Kammerspiel très en vogue en Allemagne, et la fable morale qui grossit le trait de la démonstration, un père de famille terriblement tyrannique devenant un mari aimant sous la férule d’une mère autoritaire et rigoriste, bien décidée à lui faire comprendre, par une pratique assidue, la vie de la ménagère digne de tous les éloges.
Pourtant, ces contraintes permettent d’emblée de constater le talent avec lequel Dreyer s’en empare. Confiné dans ce logis, il en observe les recoins – et, surtout toutes les tâches autour desquelles il s’organise – avec une économie de moyen redoutablement efficace. La répétition, la justesse des cadres, le sens du détail (un panier de charbon, une cale sous le pied d’une table, la tension d’une corde à linge), la précision du montage confèrent une fluidité qui parvient à ne jamais sombrer dans le naturalisme brut, tout en faisant de la vie quotidienne le réel protagoniste du récit.
Mais si l’apologue fonctionne, c’est aussi et surtout grâce à un sens inné du portrait qui s’affirme ici, et qui sera l’une des signatures du cinéaste dans les films à venir. La soumission fragile et néanmoins aimante de l’épouse s’oppose ainsi à la dureté d’un patriarche au visage fascinant, l’œil perçant et les traits acérés, dont l’adoucissement sera l’indice majeur de l’apprentissage. Face à lui, le fascinant personnage de sa mère, qui porte sur elle la revanche de toutes les femmes, est le véritable pivot du récit, pilier panoptique suivant le mari en continu, l’observant dans l’embrasure de la porte, sorte de double du cinéaste qui la regarde à son tour avec une véritable tendresse. C’est dans cette malice, cet humour aussi que le film sort des ornières de la démonstration pédagogique, et trouve ce supplément d’âme qu’on reconnaîtra au cinéaste, ce succès lui permettant de monter par la suite le Jeanne d’Arc qui l’installera définitivement parmi les grands.