LE MAJORDOME : MAN IN BLACK (critique de l'affiche)
“Au service de sept présidents, il a traversé trente ans d’histoire”. Voici le slogan policé placardé sur l’affiche de sortie du film “Le Majordome”, en tout cas en France.
Car une fois n’est pas coutume, les affiches de teasing américaines sont bien plus engagées (et aussi plus réussies selon moi) (voir les visuels ici http://www.lecritiquedepub.com/majordome/).
Mais revenons d’abord sur la version française, une composition sobre et classique. Le rideau en transparence, la présence imposante du drapeau américain : exceptés le contre-jour qui masque le visage et le noeud papillon que l’on devine, on pourrait presque croire qu’il s’agit d’une photo officielle de président (version américaine ou française).
Seule ombre au tableau, l’impressionnant casting (présent sur les trois versions) qui fait un peu penser aux listes de noms que l’on retrouve sur les mémoriaux de guerre.
Si l’on fait abstraction de ce détail, on s’attend à un film sur un loyal homme de l’ombre, fidèle à son président envers et contre tout. Bref, un film d’amitié et de respect très britannique, dans le genre de “Les Vestiges du jour”.
Au premier abord, la deuxième version semble assez classique. Pourtant, elle devient vite ambiguë si on la regarde plus attentivement.
Au départ, on voit cet homme à la fenêtre, les gants croisés dans le dos, en observateur du monde (une sorte de Carson dans Downton Abbey).
Dans la 1ère affiche, le personnage semble être dans un salon de la maison blanche, dans l’ombre des coulisses du pouvoir. Ici, il est à la lumière, dos au pouvoir et face aux manifestants.
Tiraillé entre deux mondes, prêt à agir de l’intérieur, s’il le faut.
C’est d’ailleurs confirmé par l’accroche “One quiet voice can ignite a revolution” (“Une seule voix peut déclencher une révolution”) aux antipodes de la version française “Au service de sept présidents…”.
Du coup, on commence à se demander qui est cet homme.
Il est toujours non identifiable (une constante sur l’ensemble des affiches) comme si c’était sa position qui importait et pas sa personne, comme s’il n’était qu’un archétype, dans la continuité historique de la figure du valet du théâtre classique.
Pourtant, et c’est bien spécifié sur chacune des trois affiches, il s’agit d’une histoire vraie et d’une personne bien réelle : un certain Eugene Allen, majordome de la maison-blanche de 1952 à 1986. C’est d’ailleurs cet ancrage avec la réalité qui ne plait pas à tout le monde (notamment au fils de l’ancien président Ronald Reagan).
Quoi de mieux pour un film qui dérange qu’une affiche qui fait de même.
Justement, la dernière version de l’affiche est plus engagée et percutante, sur le fond comme sur la forme. D’emblée, on est frappé par ce poing levé dans un gant blanc, référence directe au black power salute de John Carlos aux jeux olympiques de Mexico de 1968.
Le majordome rebelle (presque un oxymore) est passé de spectateur à acteur et se place ici clairement en position de contre-pouvoir. Dans cette version, la maison blanche n’est plus un refuge, elle symbolise la tête de la nation et est servie au peuple américain sur un plateau.
Le drapeau, lui, a perdu de sa superbe et tient plus du palmier de cocktail.
Sur la forme, le choix d’utiliser une illustration en aplats noirs et blancs sur fond gris renvoie directement aux dessins de rue contestataires ou au street art de Banksy.
Le majordome rejoint ainsi les grandes icônes révolutionnaires (tels Martin Luther King, Ché Guevara, Gandhi ou Nelson Mandela).
Il semble bien qu’il ait fait bien plus que juste traverser l’histoire…
Une affiche ultra-politique en adéquation avec ce film qui aborde les problématiques des droits civiques et de la ségrégation (le scénario est inspiré d’un article du Washington Post).