Aube d’orée
Revigorante rupture que celle opérée par Ryusuke Hamaguchi : après des films volontiers verbeux et littéraires, explorant les complexes oscillations des rapports humains et amoureux, Le Mal n’existe...
le 14 avr. 2024
70 j'aime
4
Ah c'est magnifique, c'est filmé dans une belle période de début d'hiver, quand les feuilles mortes de l'automne ne sont pas encore décomposées. De belles couleurs et plein de plans très longs de gens qui travaillent, évidemment les gens qui travaillent c'est beau.
Donc, il y un grand territoire avec des montagnes, des forêts, des cerfs, et un village, avec une communauté, des gens qui travaillent, qui s'aident et qui s'aiment. Mais ensuite il y a une société privée qui a racheté un terrain pas loin pour y faire construire un grand camping glamour, et comme les publicitaires sont aujourd'hui ceux qui font les concepts, on parle de : glamping. C'est tendance chez les jeunes et deux cadres glampeurs sont alors envoyés dans le village pour annoncer aux habitants la bonne nouvelle : les débilités du capitalisme tardif arrivent chez vous.
En gros l'entreprise cherche à toucher des subventions de l'état liés au commerce du tourisme, mais les délais sont courts ! Alors le projet est mal foutu, ne tient pas la route, emmerde le monde. Les envoyés se retrouvent alors bien gênés quand les habitants, que Hamaguchi fait très perspicaces, leur font remarquer les innombrables défauts que comporte le projet, autant pour les travailleurs, que les locaux, que les clients (manque de personnel, fausse sceptique trop petite, etc.)... En bref, personne, sauf monsieur le propriétaire et ses capitaux, n'ont d'intérêt à ce que ce projet se réalise.
Les deux compères retournent en ville pour annoncer leur humiliation, il est impératif : il faut recommencer à zéro. Sauf qu'évidemment, le pdg et ses actionnaires n'ont pas grand intérêt à revoir le projet, déjà parce que ça coûte, ensuite parce que les délais pour les subventions arrivent à termes, et enfin, qu'ils ont déjà acheté le terrain. A ce moment là, on croirait que personne n'est responsable, qu'il n'y a rien à faire, sauf se répéter : c'est pour la bonne cause ! Pas le choix, il sont renvoyés au village et doivent faire avec.
A ce moment, Hamaguchi appuie sur la culpabilité que ressentent les deux employés face aux gens ; tout deux obligés de mener à terme ce projet gênant. Sauf qu'au fond, ça ne semble pas être grand chose. En effet, concrètement, les rejets sont moindres et l'eau du village sera toujours bien meilleure qu'en ville. Dans un second temps, le parc est sur le lieu de passage des cerfs, qui sont craintifs et iront alors sûrement ailleurs sans problème. Il y a aussi des risques d'incendies, mais ce problème, ça va pouvoir servir de prétexte aux autres afin de passer du temps avec le villageois Takumi ; en effet, ils aimeraient faire de lui leur gardien. A côté de la plaque, pensant qu'il passait ses journées à glander dans la forêt, les citadins découvrent un concept fou, un travailleur qui n'est pas salarié. Tellement fou que couper une buche gratos va faire dire à l'employé glampeur qu'il n'avait pas eu des émotions comme ça depuis 50 ans !
Les plans sont très longs et les dialogues aussi, l'intro du film le laisse immédiatement savoir au spectateur. Mais ça permet de faire passer tout le message à travers des détails anodins qui sont longuement répétés au fil de ces nombreuses scènes étirées. La froideur du personnage du Takumi malgré l'effort des deux cons pour lui plaire se laisse facilement deviner. De la même manière, les raisons pour lesquelles ce projet ne DOIT pas exister se révèlent sans cesse, sans pour autant qu'on puisse vraiment en faire la liste. Chacun des villageois à un moment donné montre d'une manière ou d'une autre, dans un geste ou une parole, sa petite rancœur contre ces citadins et leur projet, qui viennent avec leurs manières et leur argent.
Si bien qu'à la fin, on n'est pas choqué du geste de Takumi malgré la violence et le sacrifice. Parce que la violence c'est ce projet qui est demandé par une autorité supérieur, avec dès l'origine un intérêt qui s'oppose complétement à celui des villageois et de la faune locale, faire du fric (en tapant dans l'argent public en plus). La violence c'est l'aliénation, cette contrainte imposée sur les deux employés, de mener des projets débiles et indigne alors qu'ils le savent eux même. La violence c'est aussi la contrainte imposé sur les habitants locaux qui voient leur terre vendu à des sociétés privées sans pouvoir rien faire (on rappelle que la réunion visait surtout à faire "exprimer la rage des habitants" et qu'après ils seraient "plus dociles", quelque chose comme ça). En bref, tout le monde subit une violence gratuite qui n'a pas lieu d'être et qui vient d'en haut, des bureaux, avec les types en costard, ceux qui font des graphiques et qui ont des chiffres dans la tête, mais tout va bien ! Le mal n'existe pas, c'est normal, "je ne comprends vraiment pas la fin du film.". Je crois que comme dans le discours du maire, Takumi n'a pas eu d'autres choix que sortir de la violence, par la violence. Finalement, s'il y a quelque chose qui ruisselle vraiment bien dans ce système, c'est le mal. Il part d'une petite source en haut, une petite décision presque égoïste, et peut se rependre sur tout un territoire et ses habitants sans compromis.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.
Créée
le 18 mai 2024
Critique lue 7 fois
D'autres avis sur Le mal n'existe pas
Revigorante rupture que celle opérée par Ryusuke Hamaguchi : après des films volontiers verbeux et littéraires, explorant les complexes oscillations des rapports humains et amoureux, Le Mal n’existe...
le 14 avr. 2024
70 j'aime
4
C'est la première fois (du moins à ma connaissance, en ne se basant que sur le fait que j'ai vu tous ses films que depuis Senses !) que le réalisateur Ryūsuke Hamaguchi ne situe pas principalement...
Par
le 11 avr. 2024
43 j'aime
6
Difficile de mettre des mots sur le ressenti qu'évoque la singularité du film. Hamaguchi prend à contre courant ses précédents films qui laissaient la part au dialogue pour jouer sur plusieurs...
Par
le 11 avr. 2024
27 j'aime
1
Du même critique
C'est vraiment beau et monsieur Kōji Yakusho fait belle figure c'est un bon acteur. Je retiens le plan de la tour éclairée en violet qui reflète sur l'eau la nuit, le plan avec ce pont et les reflets...
Par
le 1 avr. 2024
1 j'aime
J'ai trouvé que Pleasure tirait son épingle du jeu dans le thème qu'il aborde, mais je pense qu'il aurait été plus pertinent d'opter pour la forme d'un documentaire.En fait j'ai eu l'impression tout...
Par
le 22 nov. 2022
1 j'aime
Ah c'est magnifique, c'est filmé dans une belle période de début d'hiver, quand les feuilles mortes de l'automne ne sont pas encore décomposées. De belles couleurs et plein de plans très longs de...
Par
le 18 mai 2024