Dernier opus de Ryusuke Hamaguchi, Le mal n'existe pas fait partie de ces rares œuvres qui hypnotisent le spectateur par leurs seules qualités esthétiques, et stimulent dans le même temps son intellect par les béances volontaires de leur récit.
Le cinéaste y relate la confrontation entre les habitants d'une petite communauté rurale japonaise et une entreprise touristique qui tente d'y installer un camp de vacances, sans tenir compte de la flore environnante.
Le mal n'existe pas surprend d'abord par ses différents régimes de rupture. Son dispositif de mise en scène minimaliste - recours au plan long, fixité prépondérante du cadrage, son direct - est parasité par de brusques faux-raccords et autres interruptions soudaines d'une bande-son mélancolique. Ces procédés induisent une désagréable sensation de décalage trouble au sein d'une atmosphère pourtant propice à une apaisante contemplation de la nature.
Ce basculement progressif dirige la structure narrative même du film, où une opposition d'apparence manichéenne entre des businessmen sans pitié et d'intègres villageois se retrouve ébranlée par un habile changement de point de vue. Hamaguchi semble mettre un point d'honneur à nuancer et humaniser l'ensemble de ses personnages, avant de les réunir à nouveau lors d'une confrontation finale qui prend des airs de conte fantastique.
Le dernier tiers opère en effet une transition plus nette vers le cinéma de genre, où des paysages plus ouvertement inquiétants et brumeux finissent par engloutir les protagonistes et brouiller définitivement les repères moraux précédemment et fallacieusement établis par Hamaguchi.
C'est dans un climax d'une violence abrupte - qui paraît d'abord incongrue avant de se révéler indéniablement signifiante - que tient finalement tout le propos du film. A savoir que devant le mystère insoluble d'une Nature indomptable et impossible à appréhender pleinement pour n'importe quel homme (rural ou citadin), les représentations traditionnelles du Bien et du Mal sont condamnées à s'effondrer. Grand film.