Vous me connaissez, vous le savez, de vous à moi, le cinéma de genre français, c’est une grande histoire d’amour qui dure depuis plusieurs années maintenant. L’horreur, le fantastique, la science-fiction ou même comme ici, le thriller, le polar, le film noir, des longs-métrages qui en plus de sortir des sentiers battus, proposent des images toujours plus viscérales, inventives et puissantes. Dans le monde du genre français, il y a eu plusieurs époques, et si nous vivons un actuel âge d’or, il est bon de rappeler qu’il y a une quinzaine d’années, une petite poignée d’auteurs avaient mis en place ce qu’on appelle aujourd’hui les new french extremism; un mouvement regroupant des auteurs borderlines (par rapport au cinéma français autant que le contenu de leurs films) et des œuvres toutes aussi démesurées. Catherine Breillat, Gaspar Noé, Xavier Gens, Pascal Laugier et notre duo du jour : Alexandre Bustillo et Julien Maury, qui, avec A l’intérieur, avaient remué tout un pan du public français, en révélant la divine Béatrice Dalle et surtout une certaine sauvagerie qui continue d’hanter et d’inspirer certains. Plus de 15 ans après ce relatif succès, ils continuent leur petit bonhomme de chemin, mais il est peu dire qu’entre la surprise du début et la lassitude créé par leurs derniers bébés, un fossé s’est creusé entre le public, la critique et ces metteurs en scène. Alors qu’arrive leur nouveau film, une adaptation d’un polar d’Alexis Laipsker, la question est de savoir si nos deux précurseurs sont arrivé avec ce nouveau film, à retrouver le sel et le zèle qui a pu faire leur réputation d’autrefois ; pour pourquoi pas, convaincre des spectateurs comme moi, toujours avides d’auteurs français friands de chaire fraîche, de légendes macabres et surtout de cinéma burné et lugubre.

Passé la petite introduction gentillette, je dois aussi faire une confidence : j’avais très envie de défendre Le Mangeur d’Âmes, car encore une fois, j’aime et souhaite mettre plus en avant le cinéma de genre français, mais maintenant il va falloir être honnête, cela ne se fera pas avec des produits aussi boursouflés que ce qu’on m’a servi ici. Enfin bon, je ne vais pas jouer mon surpris, car si je n’ai pas vu leurs premiers essais qui ont fait leur renommée, j’ai pu entrapercevoir leurs derniers rejetons, et entre un téléfilm mal produit et un sous-blumhouse un peu ringard sur les bords, tout ceci ne sentait pas la rose ; et les premiers retours made in Gérardmer ainsi que les premiers visuels n’aidaient pas non plus. Alors même si j’ai tout de même voulu lui donner sa chance, là où j’ai déchanté, c’est que visiblement, même attendre quelque chose de fragile mais ambitieux était trop demander au duo. Je vais être encore plus direct, Le Mangeur d’Âmes, c’est un téléfilm échoué sur grand écran. Ne vous laissez pas berner par l’affiche léchée (issue d’un des seuls plans à la composition vraiment marquante), et bien que je ne demande pas à chaque auteur une technique totalement novatrice et clinquante pour m’intéresser, ici, on est vraiment sur du minimum syndical plutôt triste. Les réalisateurs se contentent de filmer l’action, ou plutôt, je vais être encore plus acerbe, de faire bouger l’histoire du bouquin. Ces derniers peinent, au moins dans les deux premiers tiers, à ne pas tout expliquer, tout surligner, de manière à la fois particulièrement lassante, et pas non plus franchement jusqu’au boutiste. Parce que quitte à y aller en bourrin et à faire disparaître toute subtilité, il est dommage de se contenter, encore une fois, des plus simples appareils de mise en scène ; parce que c’est bien mignon ce travelling sur les deux premiers corps, ces plans en drone sur la région, ces flash-back (à la photographie granulée cependant très réussie) qui ne racontent quasiment rien de neuf, et j’en passe, c’est bien oui, mais bon, le problème est que non content de réduire l’atmosphère glaciale voulue, le long-métrage arrive aussi malheureusement à essouffler très rapidement son rythme et la puissance de ses enjeux. Il distille ses indices et leurs résolution avec une banalité de plus en plus lassante, captant par sa froideur assez rare dans le genre, mais n’arrivant pas à suivre sur la voie qu’il a lui même tracé. Ce qui laisse alors le constat amer qu’entre l’horreur viscérale et le polar glacial, le duo Bustillo/Maury n’a pas su trouver le juste milieu et patine, le long d’idées toutes plus intéressantes les unes que les autres, restés au stade embryonnaire ; certes, sympathiques sur l’instant, mais jamais marquantes sur la longueur. Il y a de l’horreur, du monstre, des énigmes, etc, mais jamais toutes ces atmosphères, tous ces genres cohabitent, ils se parasitent et m’ont donné l’impression que rien ne semblait réellement réfléchit sur le plateau, mais bien plus pour alimenter une tension globale qui n’atteint jamais le quelconque intérêt à cause de ce manque flagrant de rigueur.

Bien que je salue l’initiative de ne pas se soumettre au gore et à la violence facile et gratuite, le problème majeur du Mangeur d’Âmes, c’est qu’il ne semble jamais à la hauteur de ses ambitions, en particulier via son image. C’est laid, non je n’ai rien d’autre à ajouter. La photo grisâtre semble au mieux faire office de parodie d’un épisode Norvégien d’Hercule Poirot, et comme dit plus haut, la mise en scène mise ses meilleures idées et initiatives sur des moments qui boursouflent l’intrigue et surtout la fluidité du long-métrage. Je trouve cependant le reste de la mise en scène au moins assez efficace, mais entre certains passages nerveux et d’autres tristement datés et remplaçables, le constat est pour moi sans appel, tout ceci fait au mieux stéréotypé et manque de singularité. Enfin, je n’aurai rien dit, mais sauf dans une longue déambulation, vers la fin, entre différentes portes au contenu suffisamment glauque et évocateur pour être souligné, le reste du long-métrage reste amèrement pauvre. Parce que voilà, au final, c’est l’émotion globale qui en prend un coup, puisque là où certaines thématiques ou même le concept de certaines scènes laissent de l’or entre les mains des metteurs en scène, le résultat est dès lors aseptisé, plat, et sans saveur. La mise en scène, classique en apparence, apparaît juste comme insupportablement plate, dénigrant toute tension et surtout l’importance de chaque séquence, tout s’enchaîne à l’image tel un flux, où on ne pose jamais la puissance de chaque enjeux, jusqu’à une partie de la résolution finale en hors champ. Même la musique et le travail sonore pue le convenu et le déjà vu, bien que la musique soit, sur le papier, assez efficace, elle participe à donner à l’ensemble, un mélange peu inspiré et surtout maladroitement mélangé. Ces comptines ou poèmes glauques lus par des enfants n’ont aussi plus aucun impact, de même que les murmures couvrant la bande originale, jusqu’au concept de légende urbaine et les thématiques sous-jacents les révélations finales. Tout sent le réchauffé et n’est jamais bien mis en valeur sauf à de rares moments malheureusement trop maigres pour faire basculer la balance vers le positif. Car là où Le Mangeur d’Âmes n’est pas seulement une daube (appelons un chat un chat), mais un monumental coup d’épée dans l’eau, c’est qu’encore une fois, le potentiel était démentiel. Le monde des légendes urbaines possède un potentiel remarquable qui semble ici traité par dessus-la-jambe, encore une fois, la mise en scène ne mettra presque jamais en valeur la myriade de thèmes abordés, pas plus que s’il s’agissait d’une affaire de serial killer basique. Idem pour le placement géographique et même, disons-le, politique du film, dans un village fantôme, qui n’est que sous-exploité, alors que dans son intro, les réalisateurs nous présentent les lieux importants, qui ne seront jamais mis en valeur à la hauteur de leur potentiel, le duo plaçant toujours leurs personnages, leurs péripéties, leurs actions, dans un déroulé à la limite du cliché malgré un décor un peu moins stéréotypé. M’enfin vous voyez vous où je veux en venir, car avec sa direction artistique aux abonnées absentes et sa mise en scène aussi caricaturale que sans réel intérêt, Le Mangeur d’Âmes essouffle très rapidement les cartes qu’il a en réserve, et ne sert à ses spectateurs que des ramassis de clichés sur le polar, ne tapant quasiment jamais juste malgré des points de départ ultra vendeur.

Si la mise en scène est déjà selon moi un gros point noir attribué au duo pour ce nouveau film, c’est vraiment l’écriture qui m’a tout bonnement fait lever les yeux au ciel durant mon visionnage ; malgré qu’encore une fois, on entrevoit les qualités potentielles, ce qui a pu attirer le duo sur une telle histoire, mais sans jamais dépasser un quelconque potentiel gâché. Je n’ai pas lu le roman d’Alexis Laipsker, mais ici, je suis là pour juger le film et ce que je dois dire, c’est qu’il faut le vouloir pour louper qu’il s’agissait à la base d’une œuvre littéraire. Si les comédiens jouent faux, ce n’est je pense pas à cause d’une mauvaise direction d’acteur, Virginie Ledoyen et Sandrine Bonnaire s’en sortent d’ailleurs bien, même si les enfants et surtout Paul Hamy en font des caisses pour pas grand-chose. Non le problème, c’est que la puissance évocatrice que peuvent exprimer des lignes sur des feuilles de papier ne tiennent clairement pas la route sur les lèvres d’un acteur, et tous les dialogues semblent tristement risibles et faussement sérieux, ça en est presque pathétique. On retrouve d’ailleurs ce côté « surlignage », à presque tout sur-expliciter à chaque ligne, chaque instant, c’est aussi saoulant que risible et ça dessert totalement la puissance de l’intrigue et surtout l’empathie que je peux avoir envers les personnages ; en plus de donner l’impression d’une adaptation par-dessus la jambe. C’est un film faussement complexe en réalité, qui ne développe pas suffisamment ses archétypes sur pattes par rapport aux enjeux et traumas pas clairs auxquels ils sont soumis ; jusqu’aux corrélation inexistantes au reste des thématiques. Des thématiques assez âpres et denses, relatant de disparitions d’enfants, de maltraitance de ces-dits enfants, de légende urbaine, de secrets enfouis dans les petits villages (pour pas spoiler), etc, etc. C’est trop, juste trop, et ainsi, le film semble à la fois extrêmement mécanique, ne perdant jamais temps, reliant chaque élément à un autre avec beaucoup de précision, mais, et c’est là que le bas blesse, aussi un automatisme juste désarmant. Rien n’a de saveur, tout est juste plat et tellement automatique qu’on se demande à quoi bon créer du suspens si c’est pour tout régler 10 minutes plus tard. Enfin du suspens, voilà le genre d’émotion que je n’ai même pas pu ressentir devant cette bouse, car ok les courses-poursuites, check, le scénar à trou il est là, les personnages mystérieux on les a, mais tout est tellement mal mélangé qu’encore une fois, le tout ressemble plus à un gloubi-boulga d’idées qu’à un scénario ; et par ce biais, je peux le dire, c’est une mauvaise adaptation. C’est légitimement une histoire qui aurait mérité plus de temps, plus de finesse et de profondeur, à la place, l’impression d’avoir assisté à une synthèse wikipédia, dépourvue d’émotion ou de charme.

Cependant, encore une fois, c’est un film légitimement rempli d’initiatives, d’idées intéressantes pour fouiller le passé des personnages ou même de l’enquête, mais tout ceci vient aussi corroborer un problème majeur du Mangeur d’Âmes, c’est qu’il est aussi prévisible que terriblement inabouti. Si tout semble avoir déjà été vu ailleurs, et notamment, sur un point précis de l’intrigue, dans le phénoménal Les chambres rouges, tout semble aussi avoir été filmé sans la passion qui avait pu intriguer le duo Bustillo/Maury autour du roman de Laipsker. Encore une fois, rien de bien neuf, profond ou même tout simplement prenant sur ce mangeur d’âmes, de la création de la légende à sa manière de prendre vie, du bouleversement dans la vie des habitants aux effets sur l’intrigue policière, rien ne semble être étudié, filmé même, de sorte à ce que je puisse affirmer que cette incursion du monstre, du fantastique, est gratuite et sans intérêt. Et c’est sans compter sur les différents retournements de situation, qui arrivent en nombre et trop tard pour pleinement les rendre intéressantes, mais surtout, qui viennent annihiler tout le propos sur les légendes que semblait dessiner le duo au profit d’un twist. Un twist pathétique comme j’en vois rarement, utilisant une logique d’écriture qui devrait être interdite, et qui ne sert qu’à surprendre le spectateur par le biais d’un élément inintéressant mais qu’il fallait bien réussir à caser quelque part. Suppléant la révélation du méchant que je ne spoilerai pas, mais que j’avais deviné en partant de l’affiche (on dira que comme pour un récent film avec Finnegan Oldfield, c’était la faute à pas de chance), et qui là encore, vient desservir le peu d’émotions qu’arrivait à transmettre le long-métrage au profit du twist et du saint-scénario. Alors oui, ça boucle bien la boucle, c’est joli tout plein, mais que c’est rébarbatif et inintéressant surtout ; en plus de démontrer la pauvreté du fond, sur la question des zones rurales, du désert médical et autres commérages, résumés à des TIN TIN TIN, TINTINTINTIN et autres coups de théâtres pour rebooster un tant soit peu l’intrigue. M’enfin, à quoi bon ? Parce qu’entre temps, au fil de ces longues expositions, je ne saurai même pas dire quel était le projet de base, pourquoi me raconter une telle histoire, pourquoi ces thèmes ? Pourquoi ces personnages ? Pourquoi ces archétypes ? Je ne sais pas, mais je vais être honnête (et méchant), je pense que c’est avant tout dû à de la fainéantise. Car il y avait moyen de donner une âme à ce film, de créer un polar retord et glaçant, qui marque la rétine et qui retourne l’estomac, à la place, on a eu un mélange de convenu multiplié à des scories plus ou moins impardonnables, mais tellement nombreuses qu’elles font passer ce duo pour des amateurs. Je cherche encore quoi développer, comment sur certaines incohérences d’une bêtise absolument impardonnable, l’intérêt de quasi tous les personnages secondaires, l’utilisation de la violence que je qualifierai d’arbitraire, mais je vais m’arrêter là, car comme tout bon mauvais film, il se dissipe peu à peu dans mon esprit, et je pense que c’est mieux comme ça.

Bustillo et Maury étaient à l’époque des new french frayeurs, des précurseurs du cinéma de genre français ; avec Le Mangeur d’Âmes ils donnent l’impression d’avoir régressé au stade où même les nouveaux talents semblent les surclasser en intentions, ambitions, et surtout rigueur globale. Du cinéma dénué de tout ce qui faisait le zèle de leur réputation, qui donne l’impression d’avoir assisté à un énorme essai de fainéantise et qui n’a pour lui que ses quelques moments qui laissent transparaître la gloire passée pour le morne présent. Alors je vais être radical mais parce que j’aime le cinéma de genre français, n’allez pas voir ce film, ou plutôt, faites-vous votre propre avis, mais n’alimentez pas la démarche semble-t-il, de plus en plus fainéante et surtout à côté de la plaque de deux auteurs sur le déclin qui doivent expressément prendre le train en marche avant de définitivement paraître has-been. Parce qu’à une époque où le cinéma de genre vit son âge d’or, il est triste de voir que les précurseurs de ce dernier, aussi amoureux du monde de l’horreur soient-ils, semblent désormais tout simplement incompétent pour tenir la comparaison avec les nouveaux talents actuels, au point de proposer une œuvre désuète et oubliable.

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le 26 avr. 2024

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